Cybermalveillance : les personnes en situation de handicap sont plus vulnérables en ligne

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Maëlys T.Maëlys T.

6 min

Cybermalveillance : les personnes en situation de handicap sont plus vulnérables en ligne

La multiplication des cyberattaques pousse l'ensemble des français·es à se montrer de plus en plus vigilant·es en ligne : mots de passe complexes, filigrane protégeant les pièces d'identité transmises en ligne, réflexion sur le partage de sa vie privée sur les réseaux.... Autant de réflexes exigeant une certaine habitude et une attention de tous les instants. Pas forcément évident pour certaines personnes en situation de handicap, d'autant plus vulnérables face à la cybermalveillance.

Il est habituel de voir le pictogramme d'une personne en fauteuil dans les transports en commun, dans les toilettes ou sur les places de parking. La question du handicap se réduit encore trop souvent à des aménagements spécifiques pour les personnes en mobilité restreinte.

Selon la DRESS (Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques) une personne en situation de handicap aurait une « limitation sévère dans une fonction physique, sensorielle ou cognitive » et/ou la déclaration d’« une forte restriction depuis plus de six mois pour des raisons de santé dans les activités que les gens font habituellement ».

Ce terme rassemble différents troubles : la paraplégie, la dyslexie, le trouble du spectre autistique, la surdité, la dysphasie... en France, entre 2.6 millions et 7.6 millions de personnes de plus de 15 ans se trouvent en situation de handicap. Parler du handicap revient à évoquer des pathologies extrêmement variées et survenues à différentes périodes de la vie. Les observations suivantes restent donc générales, et certaines personnes en situation de handicap pourront ne pas s'y reconnaître.

Le numérique, avantageux pour les personnes en situation de handicap ? Dans les faits, c'est plus complexe que ça...

En 2023, la Croix Rouge et Emmaüs Connect ont collaboré avec l'ANCT (Agence Nationale de la Cohésion du Territoire) pour publier un rapport sur les préoccupations des personnes fréquentant des établissements spécialisés et de leurs aidant·es face au numérique.

Le numérique constitue pour ces personnes une opportunité de socialiser, et gagner en indépendance financière comme en autonomie pour leurs démarches quotidiennes. Or plusieurs facteurs peuvent entraver ces possibilités :

Les infrastructures informatiques et une connexion Internet adéquate

Bien que les prix de l'équipement et les abonnements Internet soient plus raisonnables qu'il y a 20 ans, une dépense dans ces outils reste inabordable pour beaucoup de familles. Ce montant s'ajoute aux dépenses de santé quotidiennes prises en charge par l'entourage ou la personne concernée. En fonction du revenu disponible, plusieurs années d'économies restent nécessaires pour acquérir au moins un appareil électronique et un abonnement à Internet.

Les connaissances informatiques et annexes

Utiliser un clavier ou une souris, tout comme naviguer sur le Web, requiert un certain savoir-faire, demande du temps et mobilise des compétences supplémentaires comme la lecture. Faute de prise en charge, les personnes en situation de handicap peuvent se retrouver éloignées du système scolaire et des structures permettant de les éduquer au numérique. Cela allonge le temps pour effectuer les démarches administratives et obtenir des aides financières. Quant aux aidant·es, ils·elles ne sont pas nécessairement formé·es à la médiation numérique.

Les codes sociaux associés au monde Web

Le partage d'informations nécessite de connaître les sujets que l'on peut dévoiler ou non. Il faut pouvoir analyser les échanges, discerner le second degré et détecter les risques. Une démarche qui peut se révéler complexe pour les personnes porteuses d'une déficience intellectuelle, ou très isolées. De quoi augmenter le risque, par rapport à une personne valide, d'être victime de cyberharcèlement.

Le numérique, porteur de promesses fortes d’émancipation et d’inclusion pour ceux qui savent l'utiliser et qui y ont accès, s’est en même temps révélé être générateur de nouvelles vulnérabilités pour ceux qui en sont éloignés.

Source : Agence Nationale de la cohésion des territoires, 2024

Il faut également prendre en compte le fait que les personnes en situation de handicap ont un risque plus élevé de souffrir de mort sociale : il peut leur arriver de ne parler à personne pendant une semaine, voire plus. En cherchant à se sentir incluses, elles essaieront à tout prix de faire plaisir à leurs interlocuteurs·rices. L'isolement sévère de ces personnes peut donc se transformer en opportunité pour les arnaqueurs·ses, les hackers·ses...

Démultiplication des risques en ligne pour les personnes en situation de handicap

  • Arnaques en ligne: il est courant de recevoir des SMS signalant qu'un colis (non commandé) vient d'arriver, ou des e-mails redirigeant vers des faux sites : l'hameçonnage est une pratique très courante. Pas toujours évident de le repérer...
  • Extorsion de fonds et chantage : L'aptitude à réfléchir et à anticiper les risques peut faire partie des difficultés auxquelles les personnes porteuses d'un handicap mental font face. Les hackers·ses peuvent mettre la main sur une photo ou vidéo mettant son·sa propriétaire en danger, et faire pression auprès d'elle·lui pour récupérer de l'argent.
  • Abus de confiance : les réseaux sociaux et les applications de rencontre sont des espaces favorisant l'arnaque aux sentiments. Ayant l'impression qu'on se préoccupe sincèrement d'elles, les personnes isolées envoient de l'argent à des arnaqueurs·ses qui les abandonnent ensuite.
  • Achats compulsifs : pour un·e français·e valide, difficile de résister aux achats en ligne, notamment du fait des sollicitations reçues chaque jour pour consommer. Accompagner les personnes concernées par des troubles cognitifs pour qu'ils·elles apprennent à gérer leur argent constitue un véritable défi pour les professionnel·les de santé. Par exemple, en réalisant des achats intégrés dans les applications sans vraiment en comprendre la portée, ces personnes peuvent se mettre en difficulté financière.
  • Problématique supplémentaire : il peut arriver qu'une personne en situation d'handicap tombe à plusieurs reprises dans certains pièges numériques.

Et si la prochaine personne vulnérable, c'était vous ?

Avec le vieillissement de la population, de plus en plus de français·es seront amené·es à rencontrer un handicap dans les années à venir. Certaines capacités pourront leur faire défaut de façon permanente ou occasionnelle. Avec la généralisation des services numériques, la formation des citoyen·nes et des aidant·es dans ce domaine pourrait faire une grande différence et protéger de nombreux·ses français·es de la cybermalveillance.

Références :

[Photo de couverture : Getty Images]

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