L'eau se raréfie, et les centres de données en siphonnent toujours plus
Qui dit explosion du numérique dit accroissement des centres de données. Des salles immenses, remplies de serveurs qui nécessitent un refroidissement constant pour pouvoir fonctionner. Alors que les ressources en eau s'amenuisent sur Terre, les géants de la Tech n'hésitent pas à ouvrir les vannes.
Pourquoi les centres de données ont-ils besoin d'eau ?
Un centre de données est un espace physique (une salle, un bâtiment ou une installation) qui héberge l’infrastructure informatique utilisée pour la création, l’exécution et la mise à disposition des applications et des services, mais aussi pour le stockage et la gestion des données associées.
Source : IBM
Les centres de données font aujourd'hui partie des infrastructures essentielles permettant au numérique de fonctionner. Ils se composent notamment de serveurs, ces ordinateurs puissants capables de gérer de nombreuses opérations informatiques.
Or, comme chacun·e peut facilement le constater, un ordinateur en marche émet de la chaleur. Sachant que les centres de données concentrent des milliers de serveurs, souvent empilés les uns sur les autres, le refroidissement de ces appareils devient crucial pour les maintenir en état de fonctionner. Car la chaleur a des effets nocifs, pouvant aller jusqu'à endommager certains composants et compromettre le bon fonctionnement de nombreux services en ligne.
Les systèmes de refroidissement actuels utilisent principalement de l'eau
Les centres de données doivent donc maintenir une température constante. Sans surprise, la plupart des solutions de refroidissement utilisées dans ces infrastructures intègrent à ce jour... de l'eau.
Certains utilisent un système de climatisation faisant circuler de l'eau glacée dans des circuits fermés, pour refroidir l'air chaud dégagé par les machines. L'eau réchauffée retourne ensuite dans un groupe froid alimentée électriquement, ou au contact d'un air frais venant de l'extérieur.
D'autres adoptent une méthode de refroidissement reposant sur une vaporisation de gouttelettes d'eau dans l'air ambiant : on parle alors de refroidissement adiabatique. Plus récemment, de nouveaux procédés permettent de refroidir les équipements en les plongeant directement dans du liquide, ou en faisant circuler de l'eau au cœur des serveurs.
Cette liste de procédés n'est pas exhaustive. Mais même dans le cas des innovations récentes, l'eau se trouve souvent au centre des techniques développées pour maintenir les équipements à une température adéquate.
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Pourquoi est-ce problématique ?
La consommation d'eau des centres de données pose problème principalement pour deux raisons. Tout d'abord, car le nombre de centres de données explose depuis quelques années. A titre d'exemple, la France comptait 250 centres de données en 2022 : on en trouve désormais 315 sur son territoire - un chiffre pourtant dérisoire comparé au nombre d'infrastructures installées aux Etats-Unis.
Source : StatistaLa multiplication des centres de données s'accompagne également d'une augmentation de leur surface. Depuis 2006, les centres de données dits hyperscale ("à large échelle") ont fait leur apparition. Ils se caractérisent par le vaste espace qu'ils occupent (minimum 9 000 mètres carrés) et le nombre de serveurs qu'ils concentrent (au moins 5 000).
Or depuis le début de l'année 2024, le nombre des centres de données hyperscale a franchi la barre du millier à travers le globe, selon le groupe de recherche américain Synergy. Un chiffre appelé à doubler d'ici les 4 prochaines années, du fait du recours croissant au big data et à l'intelligence artificielle.
En raison de la demande toujours croissante pour le stockage de données, les centres de données hyperscale sont largement utilisés dans le monde entier par de nombreux fournisseurs et à des fins très diverses, notamment l'intelligence artificielle (IA), l'automatisation, l'analyse de données, le stockage de données, le traitement des données et d'autres tâches de big data.
Source : IBM
De l'eau... ou des octets ?
Autant dire que l'explosion du nombre de ces structures largement dépendantes en eau tombe mal : cette ressource vitale se raréfie actuellement de manière inquiétante, du fait du réchauffement climatique.
Alors que l’accès à l’eau et à l’assainissement est pourtant reconnu comme un droit humain, on estime que 40 % de la population mondiale est touchée par la pénurie d’eau. Aucun continent n’est épargné.
Source : Nations Unies
Dans certaines zones du globe, des conflits d'usage liés à l'eau ont déjà fait leur apparition. Les populations locales, exposées à des pénuries d'eau liées à des phénomènes climatiques extrêmes, ne sont pas prêtes à céder cette ressource critique aux géants de la Tech.
En témoigne le cas du centre de données Microsoft installé dans le nord des Pays-Bas. En 2021, cette infrastructure a consommé pas moins de 84 millions de litres d'eau (contrairement aux 12 à 20 millions de litres estimés par la firme américaine lors de son installation dans la région). Une révélation qui a suscité un tollé parmi les habitant·es.
Ces chiffres donnent une idée du gouffre que représente un centre de données en termes de consommation d'eau. Qu'en est-il à l'échelle de l'ensemble des infrastructures opérées par une entreprise ? Dans son rapport environnemental 2024, Google apporte un éclairage sur sa consommation :
23 milliards de litres
consommés en 2023 par les centres de données de Google
Source : Google - Rapport environnemental 2024
Le géant américain précise également que ce chiffre est en hausse de 17% par rapport à l'année précédente. Une tendance qui concerne l'ensemble des gestionnaires de centres de données : en premier lieu Amazon, Microsoft et Google, mais aussi Alibaba, Apple et Meta.
Quelles pistes pour limiter la consommation d'eau des centres de données ?
Puisque le nombre et la taille de ces infrastructures explose, difficile de compter sur un ralentissement de leur développement pour préserver nos réserves en eau dans les années à venir. Dans ces conditions, quelles pistes sont exploitables pour réduire au strict minimum la consommation d'eau des centres de données ?
Utiliser le free cooling pour refroidir les machines grâce à l'air froid extérieur
Une technique de refroidissement permet de maintenir les machines à la température adéquate sans utiliser une goutte d'eau : le free cooling, que l'on peut traduire par "refroidissement naturel" ou "passif". Une méthode qui semble faire ses preuves :
Le nouveau centre de données de Microsoft en Irlande consomme déjà environ 50 % moins d'énergie qu'un centre de données traditionnel de taille et de niveau d'activité similaires. [...] Cela est rendu possible grâce à une série d'innovations, notamment l'utilisation de l'air extérieur pour refroidir le centre de données à un coût presque nul. Cela permet de réaliser des économies environnementales considérables, car le refroidissement artificiel consomme normalement environ 38 % de l'électricité de l'installation et 18 millions de litres d'eau par mois.
Source : Commission Européenne (2020)
Cette solution est plus simple à mettre en place quand les centres de données sont localisés dans des pays froids, des zones en altitude, ou encore lorsque ces infrastructures sont installées dans des souterrains.
Améliorer la tolérance des machines à la chaleur
Une piste pour les fabricants d'appareils électroniques : accroître la capacité de leurs machines à fonctionner dans des environnements plus chauds, sans que cela n'endommage leurs composants. Une façon de maintenir les salles des centres de données à des températures plus élevées qu'actuellement : à la clé, de moindres besoins en refroidissement. Un vrai pari d'avenir...
Prélever de l'eau aux alentours
Cette méthode dépend elle aussi de l'implantation géographique des centres de données. Ceux situés à proximité d'une mer ou d'une rivière peuvent puiser l'eau nécessaire au refroidissement de leurs serveurs directement dans cette source, avant de la rejeter au même endroit après usage. L'utilisation d'eaux préalablement utilisées par des usines constitue également une option.
Ces procédés sont utilisés par Google dans certains de leurs centres de données :
Nos centres de donnés basés à St. Ghislain (Belgium), Changhua County (Taiwan) et Eemshaven (Pays-Bas) utilisent de l'eau industrielle. À Hamina, en Finlande, nous utilisons l'eau de mer pour refroidir notre centre de données, puis la renvoyons à la mer à une température proche de celle d'origine.
Source : Google - Rapport environnemental 2024
Dans ces conditions, les autorités doivent s'assurer que les eaux rejetées dans l'environnement ne présentent pas de composés problématiques, et que leur température n'altère pas le fonctionnement des écosystèmes.
Enfin, d'autres pistes sont envisageables : meilleure organisation des salles pour une circulation optimisée des flux d'air, amélioration des performances des groupes frigorifiques (au prix de dépenses accrues en électricité)...
Parions que de nouvelles alternatives innovantes pour refroidir les centres de données feront leur apparition dans les années à venir, parallèlement à l'aggravation des pénuries d'eau à travers le globe. Qui sait, peut-être serons-nous bientôt contraint·es de choisir : boire un verre d'eau potable, ou poser une question à ChatGPT ?
Références :
IBM - Qu’est-ce qu’un centre de données ?
Statista - Leading countries by number of data centers as of March 2024
France Datacenter et EY-Parthenon - Baromètre France Datacenter 2023
IBM - Qu'est-ce qu'un centre de données hyperscale ?
Nations Unies - L’eau, une ressource naturelle en voie de disparition
Google - 2024 Environmental Report
DC Mag - Comment réduire la consommation d’eau des systèmes de refroidissement des data centers ?
[Photo de couverture : Jonathan Banks pour Microsoft]
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