L’IA et les artistes : je t’aime, moi non plus ?

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Valentin ChomienneValentin Chomienne

6 min

L’IA et les artistes : je t’aime, moi non plus ?

À l’occasion de l’exposition-événement du Monde selon l’IA, du 11 avril au 21 septembre au Jeu de Paume (Paris), les discussions sur l’intelligence artificielle dans l’art s’animent. En témoignent la parution d'un livre sur le sujet, une mission d'information du Sénat... et même un nouveau clip de Polnareff.

« Les détails proliféraient dans les œuvres de l’artiste italien Piranèse, au cours du XVIIIème siècle. Il en va de même, à présent, dans les productions de l’outil d’intelligence artificielle Midjourney. » Ada Ackerman, l’une des commissaires de l’accrochage du Monde selon l’IA, se sait provocante mais insiste sur « les ponts entre l’Histoire de l’art et cette technologie de notre temps ».

Antonio Somaini au Jeu de Paume. Photo : Valentin Chomienne.

L’exposition se déclare comme « la première de cette ampleur » consacrée aux « IA génératives contemporaines ». Elle rassemble une cinquantaine d’œuvres, dont dix produites pour l’occasion, signée par environ quarante artistes. Le commissariat mené par Antonio Somaini, professeur de théorie du cinéma, des médias et de la culture visuelle à l’université Sorbonne-Nouvelle, cherche à montrer « comment les créateurs, depuis dix ans, s’adaptent » aux algorithmes et à ces modèles, « qui transforment notre manière de faire expérience du monde ».

L’installation vidéo Mechanical Kurds, créée par Hito Steyerl, plonge les visiteurs·ses au Kurdistan, dans un camp de réfugié·es où opèrent des travailleurs·ses du clic. Les Chroniques du soleil noir de Gwenola Wagon donnent à voir « des futurs possibles et des passés alternatifs » et brouillent « la distinction entre mémoire et imagination ». L’œuvre sonore Poem Poem Poem Poem Poem de Julien Prévieux « met en lumière une faille » dans la technologie de ChatGPT, menant à la révélation des textes ayant servi à l’entraînement de l’agent conversationnel :

Ces fragments, provenant de sources aussi diverses que des publicités, des avertissements légaux, des menus de restaurant, la Bible, des e-mails privés et des scripts de code informatique, exposent ce qui est collecté - souvent sans consentement - pour constituer les vastes corpus de données utilisés pour entraîner les chatbots et d’autres modèles d’IA.

Catalogue de l'exposition Le Monde selon l'IA
Mechanical Kurds - Hito Steyerl. Photo : Valentin Chomienne.

Un livre créé en partie avec l’IA

L'artiste Gwendola Wagon cosigne, avec Pierre Cassou-Noguès, Les Images pyromanes, publié le 6 mai 2025 aux UV Éditions. Cette « théorie-fiction des IA génératives » alterne textes et images, produits en importante partie par des générateurs et différentes plateformes (Stable Diffusion, Magnific AI, Snapchat…). Les deux auteur·es ont cherché à éloigner ces algorithmes de leur inclination, à savoir le « super-kitsch », et de les pousser vers « l’uncanny » : l’étonnant, l’étrange…

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Pour eux, « les IA-images représentent des prouesses : ces vagues qui déferlent sur les villes et jusque dans les appartements, ces rues inondées, jonchées de débris, auraient demandé un travail considérable, que la machine prend maintenant instantanément en charge ». Mais Wagon et Cassou-Noguès critiquent aussi « la consommation d’énergie sous-jacente à l’usage des IA », d’où leur choix de l’appellation d’images « pyromanes », et « le plaisir addictif qu’il y a à cet usage ».

Exposition Le Monde selon l'IA au Jeu de Paume. Photo : Valentin Chomienne.

Plutôt mesurée et complexe, leur posture semble tout de même assez à rebours du discours général d'hostilité, de crainte et de méfiance des artistes par rapport à Grok, Mistral AI, FaceApp, etc. Cette pensée commune est résumée simplement par Jul, dans son titre « Phénoménal », sorti le 11 avril. Le rappeur marseillais chantonne, convaincu et entêtant :

Ils veulent m’remplacer par l’IA.

Jul

Et, en effet, le débat d’ensemble à ce sujet se résume souvent ainsi, à la prochaine disparition de l’artiste humain·e causée par cette nouvelle technologie.

« Il faut réussir à éviter la casse »

Certains pans de la production artistiques sont effectivement menacés, dès à présent, « comme, par exemple le doublage et la traduction », d’après Laure Darcos, corapporteure de la mission d’information du Sénat à ce propos. « Pour eux, il faut réussir à éviter la casse, affirme la sénatrice de l’Essonne. Nous ne sommes pas contre l’IA. Il est encore temps de légiférer sur le système de rémunération des créateurs, sur les droits d’auteurs. »

Les premières auditions sénatoriales ont commencé au début du printemps 2025 et devraient mener à la présentation d’un rapport, fin juin. « Nous avons échangé avec l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique), la Scam (Société civile des auteurs multimédia), etc., énumère Laure Darcos. OpenAI et Mistral, tout comme Spotify, seront aussi auditionnés. Nous essayons de n’oublier aucun secteur et, au terme de notre mission d’information, nous effectuerons une proposition de loi. » Pour la responsable politique, « il est encore temps d’anticiper » et de donner à la France un statut de « pays-locomotive sur la question ».

Cela se constate aisément, le développement des IA bouleverse la culture et questionne tous·tes les acteurs·rices. « Je creuse peut-être ma propre tombe, j’ai un peu ce sentiment », lâche ainsi le réalisateur Paul-Henry Rouget de Conigliano. Pour le clip Sexcetera de Polnareff, publié début décembre 2024, le professionnel s’est appuyé sur Kling AI afin de déléguer des tâches. Mais, partagé, le créateur constate aussi un autre état de fait : « Je n’aurais jamais eu le budget pour avoir 3 000 figurants pendant quatre secondes à Venise, alors… »

Références :

[Photo de couverture : Ardian Pranomo]

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