Juliette Fropier : notre pays est précurseur en matière d'IA frugale
Juin 2024 : publication du référentiel général sur l’intelligence artificielle frugale. Entretien avec Juliette Fropier, cheffe de projet IA au Ministère de la transition écologique.
Permettre aux acteurs·rices de mesurer et réduire les impacts environnementaux de l’intelligence artificielle : voilà l’ambition du Référentiel général sur l’IA frugale. Une initiative française portée par l'AFNOR et le Ministère de la transition écologique, et une première mondiale.
Ce référentiel a pour objectif de poser une définition robuste de la frugalité de l’IA, tout en permettant à chaque volontaire de s’en saisir.
La genèse du projet : un manque de normalisation
Le sujet de l’impact environnemental de l’IA inonde la toile et les consciences. Pourtant, peu d’entreprises déclarent l’impact environnemental de leurs projets d’IA. Jusqu’à présent, il n’existait pas de cadre de référence ni de méthode de calcul uniformisée.
On a demandé à tous les porteurs de projets [démonstrateurs d’IA au service de la transition écologique dans les territoires] de donner des estimations de la consommation énergétique et de l’impact carbone de leurs modèles. Les informations qui ont été remontées étaient peu comparables, parce qu’on voyait qu’ils n’avaient pas tous pris en compte le même périmètre de mesure. Certains prenaient en compte seulement l’entraînement du modèle final par exemple, [...] d’autres toute la partie de recherche et développement pour mettre au point leur modèle.
Juliette Fropier
De plus, il a été constaté une volonté de certaines entreprises de vouloir se différencier par leur prise en compte des enjeux environnementaux.
A la suite de ces constats, un groupe de travail a été lancé en janvier 2024, réunissant une centaine d’acteurs : entreprises, organismes de recherche et associations. L’objectif : proposer un référentiel en 6 mois, afin de permettre aux entreprises de s’en saisir au deuxième semestre 2024. Des délais courts mais nécessaires, au vu de la rapidité de développement de l’IA.
A raison d’une visioconférence par semaine, et d’une réunion plénière par mois pendant 6 mois, le référentiel s’est construit progressivement.
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Contenu et utilisations du référentiel : une base de discussion commune
Juin 2024 : promesse tenue, le référentiel paraît. Il contient 3 chapitres : les bases de la terminologie, la méthodologie d’évaluation environnementale et les bonnes pratiques. Trois sujets clés sur lesquels 3 sous-groupes de travail ont travaillé.
Les bases de la terminologie servent à poser les définitions importantes sur l’IA : Qu’est-ce que l’IA ? Qu’est-ce qu’un entraînement ? Une inférence ? Quel est le cycle de vie d’une IA ?
Il s’agit aussi de définir l’évaluation environnementale ainsi que la notion d’IA frugale, un terme abondamment utilisé sans définition consensuelle jusqu’alors.
On a mis énormément de temps à se mettre d’accord sur la définition d’un système d’IA versus un service d’IA, et ce qu’on mettait derrière la notion de frugalité. Est-ce que c’était un service d’IA frugal ? Un système d’IA ? Ou alors [c’était] l’IA en général qui pouvait être frugale ? Une fois qu’on regarde ce qu’on a posé, ça ne paraît pas si important, ça ne semble pas demander tant de travail pour le faire, et finalement ce sont des choses qui ont nécessité des heures de débat et où parfois on revenait dessus. Je suis heureuse aujourd’hui qu’on ait réussi à obtenir ce consensus et à poser cette définition ensemble.
Juliette Fropier
La méthodologie d’évaluation environnementale concerne le choix des indicateurs à mesurer. En effet, il ne s’agit pas uniquement d’évaluer le taux de carbone rejeté : l’impact environnemental de l’IA est multifactoriel et doit être considéré comme tel. Ce chapitre aborde aussi le choix des méthodes de calcul normalisées : quels éléments doivent êtres comptabilisés - et comment - pour évaluer l’impact d’un système d’IA sur une année ?
Enfin 31 bonnes pratiques recueillies auprès des acteurs de terrain sont recensées et classées en fonction de leur difficulté et de l’impact de leur mise en œuvre.
Pour une question de faisabilité, l’initiative est restée cantonnée aux enjeux environnementaux, bien que ceux-ci soient imbriqués avec les enjeux éthiques.
C’était déjà un enjeu de se mettre d’accord sur les notions environnementales, et ce qu’on met derrière l’IA frugale. On a fait le choix de décorréler les deux. Il y a beaucoup d’initiatives sur l’éthique : ce n’est pas un champ qui manque d’étude et de réflexion.
Juliette Fropier
Le référentiel pourra donc, dans une première approche, être utilisé par les fournisseurs d’IA qui ont la main sur les choix en termes d’entraînement et de documentation. Dans une seconde approche, les clients pourront s’en servir pour interroger les fournisseurs et vérifier qu’ils ont bien renseigné toutes les données jugées importantes au vu du référentiel.
Enfin, le référentiel incitera peut-être davantage d’entreprises à se démarquer par leurs efforts en termes d’impacts environnementaux.
Les suites du projet : un référentiel international ?
Juliette Fropier nous a confié que produire un document au niveau français, en conciliant des acteurs avec des visions différentes, représente déjà un défi en soi. Cependant la démarche ne peut s’arrêter à l’Etat français : en effet, il existe a beaucoup de fournisseurs d’IA étrangers, notamment aux Etats-Unis.
La France est souvent en lead sur le numérique responsable.
Juliette Fropier
Prochaine étape pour ce référentiel ? Être porté au Comité européen de normalisation. Outre la France qui pourra présenter son référentiel, d’autres organisations internationales lancent leurs propres travaux, comme l’Union internationale des télécoms ou l’OCDE en partenariat avec IEEE.
Dans l’optique de rester sur la même lancée, la France suivra donc de près ces travaux à tous les niveaux.
Maintenant que le référentiel est publié, [...] le prochain objectif est qu’une majorité d’organisations s’en saisissent et nous fassent un retour d’expérience sur son utilisation. Nous sommes preneurs de ce retour d’expérience, pour faire des améliorations qui seront prises en compte lorsqu’on portera ce texte au niveau européen.
Juliette Fropier
Références :
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