Lire ensemble, autrement : la sociabilité littéraire sur le web
Loin des chuchotements de la bibliothèque ou des rires du groupe de lecture, les amateurs·rices de livres se tournent désormais vers les plateformes de lecture en ligne.
Lire, oui, mais quoi ? Où trouver des conseils personnalisés ? On peut bien sûr demander conseil à un·e professeur·e, un·e collègue, un·e libraire, un·e bibliothécaire. Mais dans la bookosphere, là où les clubs de lecture traditionnels ont pour partie cédé la place aux plateformes de lecture en ligne et autres réseaux sociaux littéraires :
Les modes de prescriptions ont changé (…). Entre les conseils, les discussions et les lecteurs, les réseaux sociaux deviennent la source première pour se laisser convaincre d’acheter un bouquin.
Centre National du Livre
Plateformes de lecture en ligne : qu'est-ce qui fait leur succès ?
Les plateformes de lecture en ligne sont essentiellement des espaces communautaires, sortes de bibliothèques virtuelles où chacun·e peut suivre ses propres lectures, en relever des extraits, critiquer des ouvrages ou encore échanger autour d’un·e auteur·e ou d’une œuvre.
Apparues dans les années 2000-2010, 4 plateformes majeures rassemblent en ligne les passionné·es de lecture : 3 francophones (Babelio, Booknode, Livraddict) et une anglophone (Goodreads). Tous types de lecteurs·rices s’y expriment, amateurs·rices comme professionnel·les, souvent sous pseudonyme.
Les sujets d’échanges tournent autour des lectures en cours, achevées, interrompues. Il y en a pour tous les goûts : chaque support étant catalogué, la littérature classique y côtoie la romance, la science-fiction, les romans feel good ("qui font du bien"), les albums jeunesse ou encore les thrillers…
Une fois inscrit·e, l’utilisateur·rice peut élaborer sa bibliothèque virtuelle et la partager, ce qui lui confère une certaine visibilité auprès de ses pair·es. L’inscription permet la mise en relation entre utilisateurs·rices : accès aux forums, publication de commentaires à propos des différentes chroniques... chacun·e est invité·e à s’exprimer.
Outre chroniquer et évaluer des ouvrages, il est possible de créer sa wishlist ("liste d'envies"), sa PAL (pile à lire) ainsi que des listes d’ami·es. On peut aussi consulter des statistiques telles que le nombre de livres lus, regarder des interviews d’auteur·es ou encore se divertir avec des quizz.
La popularité de ces sites repose sur plusieurs principes :
Communautaire, dans la mesure où ces plateformes regroupent un ensemble d'individus développant des interactions sociales autour d'un centre d'intérêt commun.
De personnalisation : il s'agit, comme sur de nombreuses autres plateformes, d'adapter le contenu proposé aux préférences de l'utilisateur·rice ("si vous avez aimé ceci, vous aimerez cela").
Collaboratif et participatif, puisque les utilisateurs·rices sont en quelque sorte mis tacitement à contribution, comme lorsqu'ils ajoutent des titres aux bases de données.
Comparatif : via des avis sur les lectures des autres utilisateurs·rices, mais aussi par le biais de jugements (notes et commentaires) sur les chroniques qu'ils·elles publient.
De gratuité : il est possible d'accéder aux diverses rubriques et activités sans payer un centime.
Ludique et divertissant : les plateformes organisent des concours, des challenges (par exemple, l’opération Masse Critique initiée par Babelio).
D'accessibilité :
- Aux lecteurs·rices comme aux auteur·es (connu·es ou émergent·es). Ces dernier·es peuvent d'ailleurs créer une page consacrée à leur ouvrage, avant ou après sa publication. Les avis des lecteurs·rices et les notes décernées deviennent alors un moyen pour se faire connaître et être lu·e.
- Aux amateurs·rices comme aux professionnel·les du livre et de l’édition (ces deux groupes s'y rencontrant virtuellement).
Autant de facteurs qui contribuent à faire de ces plateformes de lecture de véritables espaces d’échanges.
- ❌ 0% publicité
- 🫀 100% du contenu écrit par un·e humain·e
- ✏️ Le dessin du mois réalisé par le dessinateur Théo Schulthess
- 💡 Le meilleur du numérique responsable
L'explosion des idées et avis de lecture en ligne
Comme pour les réseaux sociaux, l’interaction et le partage sont les pierres angulaires de ces plateformes. Le fonctionnement des sites permet la personnalisation des lectures et le rapprochement entre lecteurs·rices aux goûts similaires.
L’infographie réalisée début 2025 par le CNL (Centre National du Livre), relative aux pratiques de lecture chez les français·es, met en avant l’importance des recommandations sur les réseaux sociaux.

47% des lecteurs·rices ont eu envie d'acheter ou de lire un ouvrage grâce aux conseils ou discussions sur les réseaux sociaux, dans leur acception large : les plateformes de lecture en ligne côtoyant les tendances BookTok, Bookstagram ou encore BookTube. Celles-ci se différencient par des mises en scène audiovisuelles autour des livres, et par la spontanéité que permettent des formats plus courts.
Le manque de temps et la concurrence d’autres loisirs restent les premiers freins à la lecture, tandis que certains leviers d’incitation, auparavant moins mis en avant, se renforcent : des lectures plus faciles, des avis sur des sites internet ou des blogs, et des discussions sur les réseaux sociaux.
CNL (Centre national du livre).
Des plateformes pas tout à fait désintéressées
Il semble donc que le "mode de consommation" de la lecture ait évolué, presque jusqu'à s'approcher des produits de consommation courante. Achète-t-on des livres comme on achète des produits cosmétiques ? Le fait est qu'un livre, ou plutôt un produit-livre, est lui aussi marketé à l’envi.
Quant aux plateformes de lecture, elles n'échappent ni à la publicité, ni au marketing :
- Sur Babelio, on observe la présence de publicités n'ayant rien à voir avec les livres (par exemple, une réclame pour une marque de chaussures). Celles-ci contribuent au financement du site.
- Les liens sponsorisés renvoient les utilisateurs·rices vers des sites tiers, tandis que les plateformes perçoivent une commission à chaque clic ou achat.
- Le ciblage de niche (domaine très spécialisé) permet d'identifier et de toucher une communauté aux goûts spécifiques. Par exemple, les amateurs·rices de littérature fantasy, qui met en scène des créatures utilisant de la magie. Un phénomène qui prend aujourd’hui de l’ampleur, notamment via des livres-produits aux couvertures ingénieusement travaillées.
Un autre point que l'on pourrait reprocher à ces plateformes : dans une perspective sociétale, le binge reading (lecture frénétique en temps limité de romans ou séries littéraires) soulève la question de la surconsommation, de la saturation et du survol éventuel des récits. A l'autre bout du spectre, il existe un mot japonais pour désigner ces livres achetés mais jamais lus, qui prennent la poussière sur les tables de chevet : tsundoku ("le syndrome de la pile à lire").
Rappelons toutefois qu’en 2025 « [l]es valeurs associées au livre et à la lecture sont toujours très fortes » (CNL), un point essentiel. Dès lors, il convient de poursuivre dans cette direction en « identifi[ant] les leviers qui amènent ou amèneraient les Français vers la lecture » (CNL). Si aujourd’hui il s’agit des plateformes de lecture en ligne et des réseaux sociaux, qui sait ce qu’il en sera demain ?
Références :
- Centre National du Livre - Les Français et la lecture en 2025
- Université de Lille - L’influence des réseaux sociaux sur la littérature et le monde de l’édition
- ActuaLitté - Lecteurs, communauté et réseaux sociaux : promouvoir le livre
- Sydicat National de l'Edition - Baromètre 2024 des usages d’achat et de lecture des livres imprimés, numériques et audio
- Le Monde - Recommandations littéraires : quand l’édition investit dans l’influence
- Nectart sur Cairn.info - Plateformes collaboratives : la nouvelle ère de la participation culturelle ?
- Ouest-France - Si vous aimez les livres, connaissez-vous le tsundoku ou « syndrome de la pile à lire » ?
[Photo de couverture : Katelyn Perry]
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