Perrine Tanguy : évitons de creuser l'impact écologique de l'e-commerce

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Maëlys T.Maëlys T.

5 min

Perrine Tanguy : évitons de creuser l'impact écologique de l'e-commerce

Les français·es ont pris l’habitude d’effectuer une partie de leurs achats en ligne : que ce soit pour acheter des vêtements ou réserver un hôtel, les consommateurs·rices interagissent avec des dizaines de pages chaque jour. Mais il reste difficile d'évaluer l’empreinte carbone d’un achat sur le Web...

Perrine Tanguy, fondatrice du collectif E-CO, nous parle des conséquences écologiques du commerce en ligne.

Vous êtes actuellement consultante en e-commerce et fondatrice du collectif E-CO. Pourquoi avez-vous créé cette association ?

J’ai étudié le fonctionnement du e-commerce avant de travailler pour des enseignes de prêt-à-porter. Mon poste consistait à inciter les internautes à visiter le site pour y effectuer des achats. En e-commerce, on appelle cela l’acquisition de trafic.

Ayant besoin de relier mes valeurs personnelles avec mes activités professionnelles, j’ai commencé à m’intéresser au numérique responsable et je suis devenue bénévole au sein du collectif Green IT en 2019. Or à l’époque, il y avait peu d’informations sur un e-commerce responsable, soit un commerce en ligne conciliant des enjeux écologiques et économiques.

En 2020, j’ai lancé un appel et c'est ainsi que le collectif E-CO est né. Aujourd'hui, il regroupe 15 personnes. Les recherches de nos premiers ateliers de travail nous ont amené·es à rédiger un livre blanc qui alerte sur les impacts du e-commerce. Nous y listons les enjeux des divers métiers de l'e-commerce, et apportons des idées de bonnes pratiques alternatives à adopter pour aller dans le sens d’un commerce en ligne plus durable.

La principale mission du collectif est de sensibiliser les acteurs·rices du e-commerce aux impacts puis d'apporter une liste de bonnes pratiques. L’idée du collectif est de pointer du doigt les effets d'annonce des grandes marques (autrement dit le greenwashing) et de mettre en valeur des actions avec une réelle vocation durable.

Réduire les impacts liés aux métiers du e-commerce est un premier pas. Le geste ultime consiste à remettre en question le modèle économique lui-même, pour se tourner vers des systèmes plus vertueux, tels que l’économie de la fonctionnalité et de la coopération. Ces bonnes pratiques peuvent être une première étape pour aller vers une vision plus macro (pour prendre en compte des questions liés à l'économie et l'écologie... et plus seulement la vision de l'entreprise).

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Source : livre blanc du collectif E-CO

Quand on parle d'e-commerce, on a tendance à se représenter l'achat d’un produit qui arrivera dans notre boîte aux lettres. Est-ce réducteur de le schématiser ainsi ?

Il faut bien comprendre que dans l'e-commerce, il y en a pour tous les goûts : de la vente de biens mais également de services. Lorsque vous réservez un billet de train en ligne, vous louez une place le temps d’un voyage. Lorsque vous achetez une licence pour utiliser un logiciel, vous avez recours à un service. À partir du moment où vous effectuez une transaction / un achat en ligne, vous êtes dans le monde de l'e-commerce.

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Qu’est-ce qui pollue le plus lorsqu’on réalise un achat en ligne ?

Quand les e-commerçant·es mènent des analyses de cycle de vie, ils·elles constatent que 80% de l’impact de leur activité vient particulièrement de la fabrication du produit. Les 20% restants sont liés au transport, à la logistique, aux actions marketing, au site en lui-même, etc.

D’après les données de Frédéric Bordage, expert du numérique responsable et fondateur du collectif Green IT, pour effectuer un achat en ligne, un·e e-consommateur·rice visite en moyenne 15 pages. En 2019 (pré-Covid), si on laisse de côté le transport pour prendre en compte uniquement l’énergie consommée par les réseaux et les data centers, 1.5 milliard de transactions effectuées sur Internet en France ont émis 9900 tonnes de gaz à effet de serre. Soit l’équivalent de 1347 tours du monde en voiture !

En 2023, l'e-commerce français représentait 2.35 milliards de transactions. On vous laisse faire le calcul… Au vu de ces chiffres, nous déplorons qu’aucun organisme n'ait décidé de mener une étude publique sur le bilan carbone ou l’analyse du cycle de vie de l'e-commerce.

Vous évoquez un peu plus tôt la question des effets d’annonce. Sur quels éléments les marques d'e-commerce ont-elles tendance à faire du greenwashing ?

Il peut y avoir différentes formes de greenwashing. En termes de communication, certaines marques se prétendent inclusives mais ne proposent pas des produits qui le sont.

Aujourd’hui, certains gros acteurs de l'e-commerce se mettent à proposer de la seconde main ou de la location. En soi, l’idée est bonne... mais il y a des effets rebond. Par exemple, la seconde main provoque de la surconsommation. Si au bout d'une ou deux locations, un produit neuf est mis dans le cycle de la seconde main, cela engendre un impact écologique aussi important (voire davantage) que s’il venait d’être fabriqué, du fait de tous les transports. Le circuit de la location n’est donc pas forcément beaucoup plus durable qu’un achat.

Le collectif est également là pour dissocier les actions de l'e-commerce à vocation durable des effets d’annonces sur les sujets de société. Il faut essayer d’apporter de la nuance aux actions dites responsables : le sont-elles réellement, ou n'en ont-elles que l'apparence ? Comment est-ce que je communique avec mes client·es (en parlant de mes actions de manière informative, ou comme un argument de vente) ? A l’inverse, certaines e-commerçant·es font des choses très bien... mais restent très timides sur ce sujet.

En matière de trafic, les modèles alternatifs à Google Analytics sont moins précis pour déterminer le comportement des consommateurs·rices. Comment rassurer les e-commerçant·es sur cet aspect ?

Actuellement, Google Analytics n’est toujours pas aux normes en matière de RGPD (Règlement général sur la protection des données). Si on veut se conformer, il y aura une déperdition des données en plus de celles que l’on peut avoir quand les utilisateurs·rices refusent la bannière des cookies.

En premier lieu, je demande à mes client·es ce qu’ils font d’une donnée lorsqu’elle est collectée. Je leur demande également de se poser les questions suivantes : est-ce que je m’en sers pour mes analyses ? Mes choix sont-ils orientés par ces analyses pour générer plus de ventes ? Si c’est non, collecter de la donnée ne sert à rien. Si collecter des données de visites, de transactions, de chiffre d'affaires nous suffit, on n'aura pas forcément besoin de plus.

Il est effectivement difficile de se passer de Google Analytics. Avec le RGPD, les plateformes d’analyse Web donnent désormais des tendances mais pas de manière très objective. Google Analytics privilégie les statistiques de ventes issues de Google Ads, quand d’autres outils montreront que les réseaux sociaux ou la newsletter fonctionnent bien. En faisant le choix de Google Analytics, je dois être conscient·e que cet outil n’est pas neutre. Or un manque d’impartialité de l’outil est susceptible d'orienter mes budgets et mon choix vers un canal plutôt qu’un autre.

Références :

[Photo de couverture : Nik]

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