Vulgariser sur Twitch : grands espoirs... et entre-soi

Soutenez un média indépendant

Reportages, enquêtes, initiatives et solutions en accès libre : pour un numérique plus responsable, notre rédaction compte sur vous.

Hugo RuherHugo Ruher

7 min

Vulgariser sur Twitch : grands espoirs... et entre-soi

Quelques années après avoir pris d'assaut YouTube, les vulgarisateurs·rices débarquent désormais sur Twitch. Ils·elles trouvent en ce format de diffusion live un moyen de toucher une nouvelle audience, mais se heurtent à une plateforme pas toujours adaptée.

Au lendemain d'une partie sur le jeu de football Rematch, et avant de lancer une cession du titre Clair-Obscur, le streamer Rivenzi (284 000 followers sur Twitch) propose à sa communauté un live où il réagit à un documentaire sur le nazisme. Le ton est détendu, l'animateur éclaircit quelques points, répond aux questions posées dans le chat et la soirée se termine aux alentours de 23h.

Ce type de contenu éducatif est assez fréquent sur sa chaîne. Le trentenaire est d'ailleurs également connu pour ses vidéos sur YouTube consacrées à l'histoire, avec un ton documentaire et des formats assez longs (40 minutes environ). Sur Twitch, il n'est pas le·la seul·e : la plateforme de streaming diffuse en grande majorité des parties de jeux vidéo en live, mais les contenus s'y diversifient depuis quelques années. Certain·es y parlent politique, comme Jean Massiet. D'autres font de la musique comme la chanteuse Cerian. Et puis il y a celles·eux qui en profitent pour faire de la vulgarisation scientifique.

Capture d'écran d'un live de Rivenzi avec l'historien Géraud Letang

"J'avais un goût pour la communication dans la recherche", raconte Robin Isnard, chimiste et créateur de la chaîne Tout se comprend. "Mais aussi pour le monde du jeu vidéo et du streaming, alors j'ai voulu lier les deux, et la plateforme me semblait extrêmement bien adaptée pour faire de la vulgarisation."

Conférences, quizz, jeux de rôle…

En apparence, le principe est simple. Twitch peut servir à tenir un genre de conférence en live, avec la participation des spectateurs·rices via le chat : celles·eux-ci peuvent poser des questions, ou simplement réagir. Ceci permet à l'animateur·rice de rebondir dessus pour créer un espace plus dynamique et horizontal qu'un simple cours magistral. Mais pour plaire au public, les créateurs·rices doivent aussi se conformer aux codes de la plateforme, ce qui nécessite parfois un peu d'adaptation.

"J'ai tenté plusieurs formats", nous raconte Alice Thomas, qui tient une chaîne en partie dédiée au spatial. "Des quizz, des tables rondes, des échanges avec des vulgarisateurs, des revues de presse. Parfois il y avait un thème, mais souvent ça évolue selon ce qui se dit dans le chat."

La jeune femme anime également les lives sur la chaîne du CNES (Centre national des études spatiales), l'agence spatiale française. "Au départ, c'était des discussions en format Zoom, avec des gens à distance. Mais on se rendait compte que ça ne touchait pas trop le grand public, alors on essaye de varier."

Résultat, le CNES a mis en place des jeux de rôle avec des streamers·ses jeux vidéo connu·es et des expert·es. Mais aussi des parties de Kerbal Space Program, un jeu déjanté où le but est de créer des fusées, ce qui donne lieu à un petit cours de mécanique orbitale entre deux explosions. Dans cette ambiance, les ingénieur·es du CNES, qu'on imagine volontiers assez austères, se révèlent beaucoup plus détendu·es. "L'ambition de la chaîne est avant tout de faire connaître le CNES au grand public," détaille Alice Thomas. "Pour les contenus plus sérieux, il y a des conférences, ou des vidéos sur les différents réseaux sociaux."

Capture d'écran du live JDR (Jeu de Rôle) du CNES avec les streamers·ses Ultia, MisterMV et Hugo Lisoir, et l'astronaute Jean-François Clervoy

Il faut dire qu'un live Twitch dure facilement plus de trois heures. Avec une telle longueur, difficile de conserver un contenu scientifique exigeant sans perdre une grande partie des spectateurs·rices sur une plateforme avant tout dédiée au divertissement.

Au départ, je faisais un contenu beaucoup plus sérieux, en costume et tout ! Maintenant, j'assume l'aspect plus détendu. On dilue des informations scientifiques, mais en restant dans ce qu'on attend de nous sur ce type de média.

Robin Isnard

Le vulgarisateur propose actuellement deux formats principaux : des "réacts" où il regarde des documentaires avec sa communauté, et des décryptages où il revient sur l'actualité scientifique. Des formats assez classiques sur Twitch, et présents ailleurs. "Cela ne sert à rien de faire quelque chose de trop différent des attentes, assure-t-il. Il faut aller chercher le public où il est."

Informez-vous sur les impacts des plateformes vidéo en vous abonnant à la newsletter mensuelle :
  • ❌ 0% publicité
  • 🫀 100% du contenu écrit par un·e humain·e
  • ✏️ Le dessin du mois réalisé par le dessinateur Théo Schulthess
  • 💡 Le meilleur du numérique responsable

"Tout le monde jette l'éponge"

C'est là la limite de la vulgarisation sur Twitch. Sur le papier, le format du live semble adapté. Mais en pratique, pas évident de rivaliser avec les streamers·ses jeux vidéo qui rassemblent beaucoup plus de monde.

Alice Thomas ne vit pas de sa chaîne, et est salariée par le CNES pour réaliser les lives. Robin Isnard a un emploi d'ingénieur à côté de son activité sur Internet. Même chose chez les streamers·ses les plus populaires : Rivenzi est davantage suivi pour ses lives consacrés aux jeux vidéo que pour ses entretiens avec des historiens.

D'autres, connu·es pour leur travail de vulgarisation sur YouTube, n'en font pas sur Twitch. c'est notamment le cas de la chaîne Angle Droit, qui est passée des décryptages juridiques en vidéo à des lives sur Celeste ou Elden Ring. Ou encore pour E-penser, qui s'est fait connaître par ses vidéos scientifiques et qui joue à Subnautica ou Zelda en live.

Capture d'écran d'un live "Réact" de Robin Isnard

"Je pensais que ce serait un eldorado, comme le fut YouTube à l'époque pour les vulgarisateurs, reconnaît Robin Isnard. Mais au final on dirait que tout le monde jette l'éponge. J'y suis depuis plus de 5 ans mais je dois être un des plus anciens."

C'est dur d'obtenir de la visibilité. Il faut compter sur l'algorithme, s'adapter aux codes… parfois on a l'impression que telle ou telle idée va toucher du monde et en fait non. Par exemple, on avait fait un live du CNES sur Fortnite et on pensait que des gens plus jeunes allaient venir, mais non, ça n'a pas bien marché !

Alice Thomas

Résultat, le chat du CNES ressemble souvent à une discussion d'expert·es, où les personnes qui participent le plus sont en majorité celles qui connaissent déjà bien le sujet. Ce qui a poussé l'agence à privilégier des lives sur d'autres chaînes, comme récemment une collaboration avec le streamer Ponce qui a organisé un quizz de culture générale sur le thème du spatial.

Malgré ces succès divers, pour Robin Isnard, la vulgarisation peut vivre un renouvellement via Twitch : "Ça rebat les cartes. Le vulgarisateur n'est plus le passeur de savoir qu'on a idéalisé. Il peut se tromper, avouer ses faiblesses… et c'est très bien ! On a grandi avec Jamy de C'est pas sorcier, puis les youtubeurs qui ont construit une image de "sachant". C'est bien de montrer qu'on peut casser cette verticalité."

Références :

[Photo de couverture : Getty Images]

Soutenez-nous en partageant l'article :

Sur le même thème :