Yves Marry : La déconnexion est un choix collectif
En réunion, en cours, difficile de rester concentré·e car la tentation de consulter votre smartphone est trop forte ? Des fils invisibles vous incitent à scroller jusqu’au bout de la nuit ? Le fait est que le smartphone a pris une place écrasante dans notre quotidien. Pour mieux comprendre ces phénomènes, nous avons échangé avec Yves Marry, co-fondateur de l’association Lève les yeux et co-auteur de La guerre de l’attention et Numérique : on arrête tout et on réfléchit.
Vous expliquez dans votre premier livre que notre attention est une ressource rare, désormais récupérée par les écrans. Comment l'expliquez-vous ?

Notre attention a toujours été le moteur économique de la publicité et des médias. Avant, nous croisions les affiches dans le métro et dans la rue, ou des publicités à la télévision.
L’arrivée d’internet, et surtout des smartphones, nous a fait entrer dans une ère où le cerveau humain peut être sollicité en permanence grâce aux notifications. Pour les mettre au point, les entreprises tech se sont appuyées sur les études en captologie, une discipline qui regroupe les travaux de neuroscience, la psychologie cognitive et l’économie.
Au début, elles se sont rendues compte que certaines notifications et applications étaient complètement ignorées par les utilisateurs·rices. Avec les retours d’expérience et beaucoup de tests, elles ont pu mettre en place des applications numériques qui font rester les utilisateurs·rices dessus le plus longtemps possible.
Si tout le monde part du constat qu’il y a une explosion du temps d’écran, celle-ci est liée à une volonté d’acteurs économiques.
Yves Marry
Les avantages des applications ont alors attiré l'œil des publicitaires. Les revenus de la publicité ont permis à ces sites et applications d’être rentables tout en proposant des services gratuits. Actuellement, 97% des revenus de Google et Meta sont assurés par la publicité.
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Pourquoi la majorité d’entre nous ne s'est-elle pas méfiée lorsque les nouvelles technologies se sont immiscées dans notre quotidien ?
Depuis le siècle dernier les progrès technologiques et ceux en matière de santé, ainsi que la croissance, ont amélioré nettement nos conditions de vie. Il semble alors logique que nous finissions par glorifier les sciences et la technologie... quitte à mettre une étiquette de neutralité dessus. Cette fascination collective nous a empêché d’observer les conséquences négatives vis-à-vis de l’environnement et de notre concentration. Par ailleurs, ce bain technophile englobe des enjeux de puissance économique et politique de plus en plus importants.
Il est très compliqué de freiner la progression de la transformation numérique, notamment par rapport à l’intelligence artificielle. Je pense que l'AI act, au niveau de l'Union Européenne, reste assez léger pour le moment.
Les politiques et les chercheurs ne semblent pas prendre les mesures adéquates par rapport à ce qui nous attend.
Dans le débat sur la technologie numérique domine l’idée que “tout dépend de ce qu’on en fait”. Pourtant, aujourd’hui, leurs effets négatifs pèsent plus lourd que leurs effets positifs. Comme le techno-optimisme continue encore à dominer l’opinion, la société a beaucoup de mal à remettre en cause la technologie.
Yves Marry
Avec Florent Souillot, vous avez décidé de cofonder l'association Lève les yeux : à qui s'adresse-t-elle, et quelles sont les observations que vous avez pu faire ?

L’organisation s’occupe de sensibiliser, en atelier, à la surexposition aux écrans dans notre quotidien. Nous nous adressons en priorité aux enfants et aux adolescent·es, qui sont les plus vulnérables et les plus exposé·es. Et comme ce problème affecte toutes les strates de notre société, nous essayons de plus en plus de former des professionnel·les de l'éducation, de l'animation et de la santé sur cette question. Le but est d’aider parents comme enfants à prendre conscience des problèmes posés par les écrans, et à davantage déconnecter.
Les jeunes savent qu’ils·elles vont se faire plaisir sur leurs écrans et ont du mal à se préoccuper de leur bien-être à long terme. Capter leur attention revient alors à clasher ou avoir une position radicale pour espérer être vu, écouté et apprécié. Les jeunes présents à nos ateliers ont du mal à distinguer ce qui est vrai de ce qui est faux.
Avec les progrès de l’IA générative, ils·elles parlent de plus en plus à leur appli, brouillant les frontières entre l’humain et la machine. Cela a aussi des effets délétères sur leur santé mentale.
Yves Marry
Nous essayons alors de jouer notre rôle d'alerte et de sensibilisation sur l’urgence de déconnecter.
Qu’est ce que vous entendez par déconnexion ?
En moyenne, on passe 10h sur nos écrans chez les adultes. Sortir et déconnecter des écrans est une ambition qu’on doit se fixer le plus possible de manière collective.
Yves Marry
Des auteurs comme Jacques Ellul ont montré que la technologie se développe presque "naturellement", grâce à son efficacité et à la puissance qu’elle octroie à ceux qui la possèdent. On voit que l’administration, les services, se numérisent à grande vitesse. A l’échelle individuelle, face à ce "rouleau compresseur", la déconnexion peut s’avérer très difficile.
Concrètement, cette déconnexion doit s’adapter aux personnes. Pour certain·es, ça sera de quitter LinkedIn une semaine. Pour d’autres, d’arrêter d’avoir un smartphone ou de laisser son ordinateur portable dans un bureau et ne pas le ramener chez soi. Il faut donc réfléchir à ce qui nous convient le mieux. Pour y parvenir plus facilement, il est intéressant d’essayer des techniques collectives en famille, au travail, à l’école, dans un cercle social pour garder la motivation.
Références :
- Yves Marry et Florent Souillot - La guerre de l’attention
- Yves Marry - Numérique : on arrête tout et on réfléchit
- Lève les yeux
- Jacques Ellul - Le bluff technologique
[Photo de couverture : Zulmaury Saavedra]
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