Cookie Kalkair décrypte les réseaux sociaux avec les ados
Comment profiter des réseaux sociaux tout en évitant leurs risques, surtout quand on est un·e adolescent·e ? L'auteur de BD Cookie Kalkair apporte des éléments de réponse dans son ouvrage "Les réseaux sociaux et nos ados". A l'occasion d'un entretien très complet, il propose également des pistes de réflexion pour les lecteurs·rices des e-novateurs.
En 2024, nous passons en moyenne 2h23 chaque jour sur les réseaux sociaux. Et dès 13 ans, les adolescent·es ont la possibilité d'y créer un compte. La question du temps d'écran et des habitudes des jeunes sur ces plateformes se pose donc d'une façon pressante.
Cookie Kalkair, auteur de bande dessinée, s'est penché sur ce sujet afin de décrypter les opportunités et les risques des réseaux sociaux pour les adolescent·es. Ce n'est pas un hasard s'il a écrit "Les réseaux sociaux et nos ados" (ouvrage publié en septembre 2024) avec sa jeune sœur : en plus des constats sur la situation actuelle dans ce domaine, ils ont choisi ensemble de proposer aux lecteurs·rices des astuces concrètes. Pour que chacun·e, quel que soit son âge, puisse naviguer sereinement sur ces plateformes devenues incontournables au quotidien.
Cookie nous livre ses réflexions lors d'un entretien, abordant la nécessité de se protéger sur les réseaux sociaux - encore plus lorsqu'on est un·e adolescent·e - tout en faisant le constat que nous avons tous·tes du mal à nous en passer.
Pour commencer, quels sont les points positifs des réseaux sociaux ?
Je passe du temps comme tout le monde sur Insta, sur TikTok, sur les autres, à scroller, à voir des trucs marrants, des trucs hyper intéressants.
C'est comme ça qu'aujourd'hui je regarde les news. Moi je ne regarde plus la télévision : s'il se passe quelque chose dans le monde, je suis au courant par les réseaux sociaux, donc c'est une source.
Et je suis le premier à te dire que si j'ai besoin de changer un robinet dans ma cuisine, c'est une vidéo YouTube qui va m'apprendre. Je n'ai pas d'autres personnes qui ont cette connaissance-là [dans mon entourage], aujourd'hui c'est YouTube qui est mon principal éducateur là-dessus. Donc je reconnais cette valeur-là.
Avec la mise en scène des publications, une prise de recul indispensable côté spectateur·rices ?
Peut-être que la barrière qui a diminué avec les réseaux sociaux, c'est que tout d'un coup, c'est mon voisin qui est à la télé. Ou c'est ma petite sœur, qui apparaît parfaite alors que je lui ai parlé il y a cinq minutes... et en fait, elle est en peine de cœur, ou elle ne va pas bien.
Même moi, quand je partage une vidéo de moi qui dessine, j'ai pris le temps d'installer mon truc. C'est pas comme ça que je dessine, c'est une mise en scène. Et j'ai peut-être changé de T-shirt, parce que j'avais pas un "bon" T-shirt. Et ça, c'est difficile quand tu ne l'as pas expérimenté. Moi, aujourd'hui, je regarde les réseaux complètement différemment.
Je pense qu'effectivement c'est une question d'éducation, de société, de dire : "C'est faux." Il faut qu'on éduque tout le monde : c'est aussi faux que la télé, que le porno. Ce que vous voyez sur les réseaux, c'est faux.
Toxicité des contenus, engagement et comptes dédiés pour les mineur·es
Aujourd'hui, je ne suis pas pour une interdiction des réseaux sociaux. Par contre, je pense que comme dans plein de milieux de la tech, incluant les jeux vidéo dans lesquels je travaille, on devrait faire des comptes mineurs.
À partir du moment où j'ai un compte mineur, je n'ai pas accès aux mêmes contenus, je n'ai pas les mêmes règles de communication. Ce qui pour moi est une évidence, et aurait dû être une évidence il y a 20 ans quand ils ont commencé à designer les réseaux sociaux. Malheureusement, leur priorité était plus de voir comment ils allaient générer plus de publicité et d'engagement.
Je suis intimement convaincu, pour avoir traîné dans les milieux de la Tech depuis les années 2010, qu'il n'y a pas vraiment de grand méchant hyper toxique, qui a voulu aller vers la toxicité. Je pense que c'est une vue d'ingénieur à qui on a dit : "Nous, on veut maximiser l'engagement." L'ingénieur, lui, a regardé et il a dit : "Alors, ce qui génère le plus d'engagement, je vais vous le dire : c'est les trucs toxiques. Donc si c'est ça que vous voulez, générer de l'engagement, on va pousser vers ça."
Le défaut qu'il y a eu : c'était que des ingénieurs à l'époque. Personne ne s'est posé la question de l'éthique. Personne ne s'est posé la question de : "Et la protection de nos enfants ? Des femmes ? Des personnes racisées ?"
Donc les algorithmes d'aujourd'hui ont été créés avec des vues d'ingénieurs capitalistes qui répondent à un seul ordre : "Comment est-ce que je peux générer plus de pognon ?" Et ils ont très bien fait leur boulot !
Régulation des réseaux sociaux : parviendra-t-on à aller plus vite que pour la télévision ?
Il faut une sacrée régulation. Je le redis dans le bouquin : la télévision a mis plus de 60 ans à faire cette régulation. On a mis plus de 60 ans à se dire : "Peut-être que du contenu violent ou avec des nichons, on va le mettre plus tard le soir, quand les enfants sont couchés."
il faut juste qu'on soit plus rapides que ça dans le cas des réseaux sociaux, plus grave [car il y a] un vrai impact sur le taux de dépression et le taux de suicide de nos adolescents. Donc ça, on ne peut pas laisser passer.
On n'est pas complètement à la rue, l'Europe est l'un des États qui se bouge le plus pour essayer de réguler les réseaux sociaux. Malheureusement, il y a beaucoup de pushback et de lobbies. Effectivement, ce n'est pas comme réguler France 2 ou Canal Plus, où l’État peut dire : "Vous êtes sur mon pays, maintenant vous allez suivre mes règles." C'est un point de vue mondial, or on n'a pas aujourd'hui de régulation mondiale et ce n'est pas l'ONU qui va se mêler de ça.
On commence à voir des trucs : le Brésil qui commence à râler, l'Australie qui dit : "moi je vais couper les réseaux sociaux", l'Europe qui dit : "alors moi je vais faire ça"... ça va prendre du temps, ça avance. C'est beaucoup trop tard.
D'un point de vue designer et concepteur qui travaille dans la tech, j'accuse quand même les réseaux sociaux de ne pas avoir pris ça en compte dans leur design, et il n'y a pas d'excuse pour ça.
Devenir un repère pour ses enfants... en prenant de nouvelles habitudes avec les réseaux sociaux
Je pense [que mon fils] aura envie, à un moment, d'être sur les réseaux. Et je réfléchis moi-même à [les] quitter un moment, pour l'accompagner là-dedans. Pour ne pas être, moi, en train de sur-utiliser les réseaux, et lui dire : "Attends, papa doit poster parce que papa a besoin de plus de followers, parce que papa vend des livres, tu vois."
Et de me dire que, moi aussi, il faut que je fasse une décroissance de ça, parce que je peux pas être dans la même maison que lui et passer mon temps à dire : "Attendez, on fait une photo les enfants, parce qu'il faut que je poste : ça va être cool, la glace au parc..." Puis lui dire : "Par contre, toi, tu ne peux pas le faire parce que c'est mauvais pour ta santé. Moi, c'est mauvais pour ma santé, mais je n'ai plus de parents pour me faire chier !"
Et cette contradiction-là, c'est aujourd'hui quelque chose qui est nouveau pour moi en tant que parent. J'essaie de l'adapter à la cigarette, l'alcool... j'essaie de conscientiser ces trucs-là pour me dire que ce que je lui montre, c'est que je fais gaffe. Je fais gaffe à combien de temps je passe sur les réseaux. J'essaie de ne pas trop poster, ne pas trop gâcher des moments où je suis bien, de ne pas les interrompre par : "Ah non, attendez, il faut que je me filme !" Et ça c'est difficile, j'espère que ça m'aidera, mais c'est un vrai travail à mon avis.
Un ouvrage pour les adolescent·es comme pour leurs parents :
Les réseaux sociaux et nos ados - Cookie Kalkair
Paru aux éditions Steinkis - 05/09/2024
Pour découvrir notre entretien en intégralité :
Références :
[Photo de couverture : Cookie Kalkair - éditions Steinkis]
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