Design douteux : repérez et évitez les pièges du marketing en ligne
Les dark patterns (ou design douteux) sont des pratiques numériques visant à manipuler les utilisateurs·rices. Ces stratagèmes s'appuient sur des biais cognitifs et des astuces ergonomiques mises en place intentionnellement. Voici comment les identifier pour ne plus tomber dans le panneau.
Reconnaître les dark patterns
Ces pratiques sont très communes, notamment sur les sites e-commerce : de grands comptes à rebours, ou encore des messages indiquant qu'il ne reste plus qu'un exemplaire d'un produit. Leurs objectifs peuvent être multiples : vous faire acheter plus, plus vite, récupérer vos données, vous maintenir plus longtemps sur une application, etc. Si ces pratiques sont autant utilisées, c'est parce qu'elles ont fait leurs preuves.
D'après l'enquête conjointe de la FRC (Fédération Romande des Consommateurs, association suisse de défense des droits des consommateurs·rices) et de Public Eye (association suisse de défense des droits humains), il y aurait 2 à 4 fois plus de chances qu'un·e utilisateur·rice réalise une action dans un environnement contenant des dark patterns.
Pour les repérer et mieux comprendre leur fonctionnement, les voici classés en 7 catégories :
- ❌ 0% publicité
- 🫀 100% du contenu écrit par un·e humain·e
- ✏️ Le dessin du mois réalisé par le dessinateur Théo Schulthess
- 💡 Le meilleur du numérique responsable
Pression sociale
Ce type de dark pattern s'appuie sur notre tendance à vouloir appartenir à un groupe, et ressembler aux autres. Il appuie par exemple que le fait qu'un article est très populaire et prisé :
- "Plus de 5 000 vendus"
- "57 personnes ont ce produit dans leur panier"
- "Déjà 8 commandes en cours !"



Ou alors proposer d'autres articles "populaires" :
- "Ce que les autres ont acheté"
- "Nos clients ont aussi acheté"
Impression de rareté
Il s'agit d'insister sur la rareté d'un produit pour augmenter sa désirabilité. Personne n'aime passer à côté d'une bonne affaire - et c'est sûrement le cas ici, puisqu'il n'en reste presque plus :
- "Plus que 3 produits restants"
- "Forte demande ! Complétez votre commande avant qu'il n'en reste plus !"
- "Pratiquement épuisé ! Il n'en reste que 2"

Sentiment d'urgence
Susciter un sentiment d'urgence pour pousser à la consommation : ce procédé se traduit généralement par des comptes à rebours très voyants, ou des réductions (symbolisées par des prix barrés) valables sur une période limitée. Voici quelques-uns des éléments de langage fréquemment utilisés :
- "Prix valable jusqu'à 17:57"
- "Retrait GRATUIT samedi 4 mai. Commandez dans les 1 h 19 min"
- "Disponible seulement pour une durée limitée, achetez le vôtre aujourd'hui!"
- "C'est dans votre panier, on vous le garde pendant 1 heure"


Détournement de l'attention
Il s'agit de techniques visant à vous inciter à prendre une voie plutôt qu'une autre. Cela peut prendre plusieurs formes :
- vous orienter vers d'autres produits "similaires" ou "souvent achetés ensemble".
- Vous inciter à donner des informations : "Économisez 1,20€ sur ce produit après adhésion".
- Vous pousser à cliquer sur une publicité, en la déguisant suffisamment pour que vous pensiez qu'elle fait partie de la page que vous visitez.
- Vous orienter vers un choix plutôt qu'un autre.


Dans cette dernière catégorie se trouvent la majorité des bannières de cookies : le fait d'accepter tous les cookies est largement mis en avant (par la couleur ou un texte plus grand) par rapport au bouton "refuser" ou à l'option "continuer sans accepter".
Certaines techniques de confirmshaming (honte de la confirmation) ont également pour but de vous orienter psychologiquement vers un choix plutôt qu'un autre, avec des messages du type : "Non je ne veux pas soutenir une bonne cause", "Annuler et perdre tous mes avantages"...
On peut aussi trouver des techniques utilisant des choix négatifs ou questions pièges afin de troubler les utilisateurs·rices. Par exemple : " Ne pas décocher cette case si vous souhaitez être contacté via e-mail".
Obstruction
L'obstruction consiste à rendre une action plus difficile qu'elle ne devrait l'être afin de vous décourager. Pour évaluer cela, on peut compter le nombre de clics pour réaliser une action et son contraire : s'inscrire sur un site demandera 1 clic, tandis que se désinscrire en exigera 5. On parle alors d'obstruction puisqu'une action est clairement avantagée par rapport à une autre.
Ce type de dark pattern régit souvent l'accès aux données personnelles : accepter les cookies ou les Conditions Générales d'Utilisations (GCU) en sont les exemples les plus fréquents.

Tromperie des utilisateurs·rices
Ce dark pattern consiste à outrepasser le consentement des utilisateurs·rices en réalisant des actions sans qu'ils·elles en soient conscient·es.
Un exemple, parmi les plus fréquents : rajouter des garanties (sans le consentement de la personne concernée) sur un produit au moment de l'achat. Sans vérification de sa part, elle paiera un supplément pour une garantie qu'elle n'a pas choisie, et ne veut pas forcément.
Autre exemple récurrent : aux Etats-Unis, il n'est pas rare de dissimuler des aspects négatifs des Conditions Générales d'Utilisation (GCU) au moment de les accepter. L'utilisateur·rice n'aperçoit qu'une partie du texte et doit cliquer sur "Voir plus" pour obtenir la totalité des informations.

Action forcée
Ce dark pattern consiste à vous forcer à réaliser une action supplémentaire pour terminer la tâche entreprise.
Il s'agit par exemple de sites web qui vous demanderont de vous inscrire pour visualiser leur contenu. Dans ce genre de cas, les informations demandées ne sont pas nécessaire au site pour fonctionner : un site de recettes de cuisine n'a pas besoin d'informations personnelles pour afficher une recette par exemple.

Comment se protéger des dark patterns ?
Le Règlement Général pour la Protection des Données (RGPD) protège les citoyen·nes européen·nes contre les formes les plus problématiques de dark patterns. Les sites Web sont contraints de présenter la totalité des informations concernant les conditions générales d'utilisation, et d'offrir le choix d'accepter ou refuser les cookies avec des boutons de même taille notamment.
Cependant ces solutions sont loin d'être parfaites. Beaucoup de dark pattern subsistent, et de nombreux sites e-commerce redoublent d'efforts et de créativité pour les faire passer inaperçus.
Pour se protéger au mieux contre ces tentatives de manipulation, une première étape peut consister à se sensibiliser aux différentes techniques utilisées. Par exemple, la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) propose des ressources fiables sur ce sujet.
On peut également se poser la question, lorsqu'on navigue sur le Web, du but du contenu proposé. Pourquoi ce site e-commerce vous informe-t-il que 5 autres personnes ont cet article dans leur panier ? Pourquoi vous demander de décocher chaque case une par une ? Pourquoi devriez-vous communiquer votre adresse mail (ou toute autre donnée personnelle) pour avoir accès à tel site ?
Si la réponse à ces questions n'est pas claire - ou pas à votre avantage - il s'agit peut-être d'une technique de manipulation.
Pour aller plus loin sur ce sujet :
- Le site Hall of shame (en anglais) répertorie et décrypte des exemples de dark patterns.
- Un jeu en ligne (en anglais) destiné à sensibiliser les internautes aux interfaces mal conçues : UserInyerFace
Références :
- Fédération Romande des Consommateurs - Dark patterns : quand les interfaces Web nous manipulent
- Arxiv - Dark Patterns at Scale: Findings from a Crawl of 11K Shopping Websites
- Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes - Pièges sur les sites de commerce en ligne : attention aux dark patterns !
[Photo de couverture : Getty Images]
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