Généralisation des IA : de quoi redéfinir la valeur de notre travail ?
Un nombre croissant d'étudiant·es comme de salarié·es utilisent l'intelligence artificielle au quotidien pour mener leurs tâches à bien. Une tendance qui pourrait redéfinir la valeur et le sens que notre société accorde au travail.
L’intelligence artificielle franchit chaque jour des étapes de plus en plus importantes. Si elle témoigne de percées encore timides dans la vie quotidienne des français·es (32 % des personnes de plus de 35 ans disent l’utiliser régulièrement), elle devient une réalité des plus concrètes pour les étudiant·es de certaines filières (management, ingénierie, numérique, création…).
Une étude intitulée « L’impact des IA génératives sur les étudiants », menée en 2024 par le Pôle Léonard de Vinci, RM conseil et Talan, s'est penchée sur la question.
92%
des élèves utilisent régulièrement une intelligence artificielle générative.
Source : L'impact des IA génératives sur les étudiants"
Ce phénomène pose certaines questions éthiques, logiques et sociétales : vigueur et expression de la valeur travail, égalité d’accès à cet outil digital pour tous·tes les étudiant·es, perméabilité du monde du travail des entreprises à ces évolutions...
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des jeunes investissent 20€ par mois pour pouvoir utiliser ChatGPT4.
Source : "L'impact des IA génératives sur les étudiants"
Un rapport éloquent, mais sur des filières spécialisées ?
Cette étude a été réalisée à partir des données d'un sondage mené en février et mars 2024, dans le cadre d'un hackathon pédagogique ayant regroupé, pendant 5 jours, 1.600 étudiant·es de 4e année.
Face à ces évolutions digitales, les secteurs du numérique, de l’ingénierie et de la création ne sauraient rester en marge : ils sont aujourd'hui en première ligne de l’usage (et de la recommandation d’usage) de l’intelligence artificielle générative.
De manière plus surprenante, les champs du management et des ressources humaines évoquent des dimensions plus tendancieuses. En témoigne l’exemple de cette firme chinoise dont « la » Présidente Directrice Générale n’est autre qu’un bot génératif. Ses pouvoirs, s’ils sont configurés par des humains, peuvent œuvrer 24h/24, et portent sur le fait « d’approuver, signer des documents, comme tout PDG, mais aussi de gérer des projets, évaluer les performances du personnel, et décider éventuellement de sanctions », relatait déjà le site de FranceInfo en 2022.
L’écosystème des entreprises est-il prêt, humainement et structurellement ?
Le rapport fait état d’un possible "choc des cultures" entre salarié·es des nouvelles et anciennes générations dans l’entreprise. D’autant que ces étudiant·es en 4ème année, « qui prendront majoritairement leur poste au bout d’un an » d’étude supplémentaire, indiquent porter une attention toute particulière à l’incorporation des process d’IA dans les entreprises sur lesquelles se porteront leurs choix. Or, si les filières sont prêtes, le monde du travail l’est peut-être moins.
Sur ce schéma, il faut noter la prévalence de ChatGPT en termes d’usage par les étudiant·es (88 %), ce qui soulève des questionnements relatifs à « l’entraînement des algorithmes et à la souveraineté » des données et outils, d’origine massivement américaine jusque-là.
Et la valeur travail, dans tout cela ?
Les gains de temps (pour 62 % des étudiant·es) et de productivité (pour 65 %) sont mis en avant. 79 % des étudiant·es « constatent que les IA génératives enrichissent leurs capacités à résoudre des problèmes complexes ».
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des étudiant·es déclarent utiliser les IA génératives pour effectuer leur travail à leur place.
Source : "L'impact des IA génératives sur les étudiants"
Recours à la facilité (ChatGPT est avant tout un outil facile à utiliser, dans 95 % des réponses), dans une moindre mesure « outil de recherche fiable » (68 %), les étudiant·es sont sensibilisé·es sur le fait qu’il leur faut recouper et vérifier les réponses pour éviter « les fausses informations ou le travestissement des requêtes faites pour "mieux qualifier la demande", ou encore les hallucinations qui sont […] des risques majeurs de mésinformation. »
Comment sera-t-il possible de s’adjuger la paternité d’un travail, et donc la rémunération qui en découle, quand celui-ci résultera d’une IA augmentée ? De quoi nous pousser à réviser notre définition du mot « travail » ?
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Il existera désormais une différence de degré : jusqu’à nos jours, quasiment tous les emplois produisent un résultat, un rendement sur la base d’une coopération d’individus - mais l’IA peut-elle être considérée comme un énième acolyte ? Ainsi qu'une différence de nature, car le centre de décision pourrait basculer de l’homme vers la machine. En effet, « 52 % des étudiants indiquent [dès maintenant] que ChatGPT les influence dans leurs choix ».
51 %
des étudiant·es déclarent qu’ils·elles auraient du mal à se passer de ChatGPT.
Source : "L'impact des IA génératives sur les étudiants"
Peut-on sereinement se prévaloir d’une performance, d’un rendement qui ne résulterait de soi que pour une portion congrue ? Sans parler de fierté du travail bien fait, quelle sera notre plus-value, sachant que celle-ci fonde souvent la rémunération ? Et qu'en est-il de l’égalité d’accès à ces outils payants, s’ils venaient à être cautionnés par la communauté pédagogique, pour l’ensemble des étudiant·es pris en charge par le système éducatif ?
Enfin, il y a un risque de constitution d’une caste de personnes ultra spécialisées dans ces sortes de langage de haute technicité, devenant difficilement remplaçables. Pourtant leurs résultats et leurs performances, cruciales pour le reste de la société, reposeraient sur des bases fragiles. Parce qu'ils·elles seraient entièrement tributaires de la technologie pour se révéler, et soumises à des évolutions de code et de formulation difficiles à suivre pour tout être humain.
Le monde du travail : des bouleversements en perspective
D’ici 2030, selon un scénario moyen, 27 % des heures travaillées en Europe pourraient être automatisées en utilisant les technologies de l’IA. Un phénomène qui irait croissant puisqu’à l’horizon 2035, ce serait 45 % de ces mêmes heures travaillées qui pourraient être automatisées par l’IA !
Source : McKinsey - A new future of work : The race to deploy AI and raise skills in Europe and beyond
Le cabinet McKinsey précise aussi que douze millions d’européen·nes seront bousculé·es par l’IA. Suffisamment pour les amener, dans certains cas, à envisager une réorientation ou des formations qualifiantes, lourdes et coûteuses pour la collectivité. Ce constat est d’autant plus fort, et la marche évolutive des pensées et des process d’autant plus grande à franchir, que l’IA s’invitera dans des esprits parfois totalement novices dans ces matières, même si une mise à niveau est envisagée.
De plus, s’agissant d’une intelligence qui va, on peut le croire à terme, dépasser les facultés d’entendement humain, comment pourra encore s’exercer le nécessaire contrôle de l’homme sur la machine ?
[...] dans la plupart des cas, il est toujours nécessaire qu’un humain soit impliqué pour valider et corriger l’IA, ce qui compense le gain de productivité initial.
Pieter den Hamer, vice-président de Gartner Research
Maintenant… un peu de prospective-fiction
On peut se poser une ultime question en forme de (science-)fiction : si, aujourd’hui, requêtes et résultats sont encore intelligibles pour un esprit humain car recourant au langage articulé et à des notions textuelles, qu’adviendrait-il si, demain, la forme d’expression de ces assistances informatiques en venait à ne plus recouper aucun code commun à l’Homme et qu’il ne soit plus en mesure « de les lire » ? Faudra-t-il opter pour des IA contrôlant les IA, ce qui signifierait la perte de notre pouvoir ?
Ou encore, incorporer jusque dans nos corps des additions technologiques qui nous serviront d’interfaces pour dialoguer avec ces IA, et pouvoir les comprendre ou les commander (on pense notamment à Neuralink).
Neuralink est une start-up américaine cofondée par Elon Musk : elle développe des implants cérébraux. Ces composants électroniques peuvent être intégrés dans le cerveau, par exemple pour augmenter la mémoire ou piloter des terminaux, et éventuellement pour mieux marier le cerveau et l'intelligence artificielle.
Source : Wikipédia
Références :
- Talan - Talan et le Pôle Léonard de Vinci publient une étude édifiante autour de l'impact des IA génératives
- France Info - Chine : une femme robot pilotée par une IA devient PDG d'une entreprise de plusieurs milliers de salariés
- France Info - Intelligence artificielle : une enquête révèle que quatre entreprises françaises sur dix n'ont encore rien fait pour l'intégrer à leur activité
- France Info - Intelligence artificielle : une entreprise licencie la moitié de ses salariés
- Le Monde Informatique - L'IA va créer 500 millions d'emplois d'ici 2033
- McKinsey - A new future of work: The race to deploy AI and raise skills in Europe and beyond
- Neuralink - Redefining the boundaries of human capabilities requires pioneers.
[Photo de couverture : ZHENYU LUO]
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