Apprendre, réparer, transmettre : immersion dans un atelier de co-réparation

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Maïlys BELLIOTMaïlys BELLIOT

5 min

Apprendre, réparer, transmettre : immersion dans un atelier de co-réparation

À Lyon, l’Atelier Soudé apprend au public à réparer toutes les pannes (ou presque) des outils numériques. Un bon moyen de reprendre le pouvoir sur son environnement technologique et cerner l’impact écologique de celui-ci.

À peine éclairé par les lampes au dessus des paillasses, l’atelier semble être l’antre de bricoleurs·ses un peu dingues. Des fils électriques et des gaines courent au plafond. Les murs sont tapissés d’affiches informatives, de mots drôles et militants. Au fond du local s’amoncellent des caisses estampillées du produit qu’elles contiennent, avec une touche d’humour : « smartphones divers (et d’été) », « câbles SATA(N) »… principalement du matériel informatique. C’est ici, près de la place Jean-Jaurès à Lyon, qu’œuvre l’association L’Atelier Soudé, spécialiste de la réparation électrique et électronique depuis 2015. Il est 17h, un atelier de co-réparation commence.

L’Atelier Soudé est aussi une ressourcerie. Il est possible d’y faire un don de matériel qui servira pour les adhérent·es en atelier.
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Technologique n’est pas (forcément) compliqué

Derrière son poste d’accueil, Camille, l’une des salarié·es, explique à celles et ceux qui arrivent avec un objet cassé : « on n’est pas un service de réparation, on ne fait pas à votre place : on vous montre, on vous prête les outils et c’est vous qui faites ». Jusqu’à 20h, à raison de deux fois par semaine, l’on peut venir ici apprendre à réparer un appareil en panne, numérique ou non.

Tout est à disposition pour réussir : des outils très spécifiques comme des petits tournevis et autres mini spatules, des composants et pièces récupéré·es sur des appareils irréparables donnés par des particuliers, ce qui permet à l’Atelier Soudé de se constituer une ressourcerie. Damien, autre salarié de l’association, explique que « la règle, c’est un pour trois. C’est-à-dire qu’on peut recréer un ordinateur à partir de trois anciens ». Et bien sûr, une équipe de passionné·es pour qui rien n’est trop complexe est présente pour guider dans la réparation.

Avant de travailler ici, Camille était ingénieure électrique. Mais elle assure qu’elle « n’avait jamais ouvert un appareil. On n’apprend pas ça à l’école ».

Même les outils les plus technologiques se réparent.

Camille, salariée de l'Atelier Soudé

Démonstration. Elle ouvre une unité centrale en ôtant 2 vis et 3 clips, et constate : « il y a beaucoup de poussière, ce qui fait monter en température le système. Il faut régulièrement nettoyer ses appareils avec une petite brosse ou une poire à air comprimé ». Puis elle dévisse le ventilateur, révélant plusieurs pièces qu’elle pointe une à une : « en fonction du problème analysé, on peut changer la RAM, la batterie, la pile BIOS [qui ressemble à une pile de montre, NDLR], le disque dur… là, tu vois, il n’y a plus de pâte thermique ». Cette pâte visqueuse de couleur grise permet de dissiper la chaleur. Sans elle, le système surchauffe, l’ordinateur ralentit ou refuse de démarrer. Elle est à refaire tous les 3 ou 4 ans.

Le smartphone, plus complexe à réparer que l’ordinateur

Sur un smartphone, on peut changer facilement les connecteurs (les prises), les périphériques (appareil photo, bouton home…), la batterie et l’écran.

« Pour les smartphones, c’est plus délicat car tout est plus petit, fragile et collé », poursuit la technicienne. Il reste toutefois possible de changer le bouton « home », l’appareil photo, la batterie, les connecteurs comme la prise jack ou USB, et l’écran. Changer un écran cassé est par ailleurs la principale réparation effectuée sur les smartphones à l’atelier. Pas étonnant : l’Ademe (Agence pour la transition énergétique) estime que 80% des réparations effectuées par un·e professionnel·le concerne un écran cassé.

Seul hic : « chaque modèle a ses pièces propres avec des dimensions différentes, incompatibles d’un téléphone à l’autre ». Il faut souvent que les adhérent·es les achètent avant de venir à l’atelier. « Nos compétences s’arrêtent quand le problème touche la carte mère », conclut-elle. Dans les deux-tiers des cas, les adhérent·es repartent avec un appareil comme neuf pour le seul prix de l’adhésion à l’association : 20€ par an.

Les outils nécessaires à la réparation d’appareils numériques sont très spécifiques. En adhérant à des associations d’aide à la réparation, on mutualise et on évite ainsi un investissement pour un usage unique ou presque.

En France, plusieurs ateliers du même type existent. La plupart épousent le modèle du Repair café, mouvement international d’ateliers de réparation d’objets en tout genre, organisés par des bénévoles. Mais tous ne disposent pas d’un·e technicien·ne spécialiste du numérique.

A l’image de l’Atelier Soudé, on trouve l’Atelier de Bidouille Informatique Libre à Grenoble, ou encore, à Toulouse, la Rebooterie. Là-bas aussi travaille une prénommée Camille. Elle raconte que l’association, créée en 2020, dispense 3 types d’ateliers :

  • Un de co-réparation.
  • Un autre nommé « PC à 0€ », qui propose, en deux séances de 3 heures, de réparer un PC disponible dans le stock pour repartir avec, « ce qui permet de lutter contre la fracture numérique ».
  • Un dernier intitulé « rebooste ton PC », qui consiste souvent à changer la RAM et le système d’exploitation.

Auto-réparer pour reprendre le pouvoir

Par le biais d’ateliers de co-réparation, ces associations luttent contre les déchets électroniques et pour la réappropriation des appareils du quotidien.

Apprendre à réparer c’est reprendre le pouvoir sur son environnement, comprendre comme il fonctionne pour mieux l’appréhender, en démystifier la complexité et au passage, ça sensibilise à l’écologie.

Camille, salariée de l’Atelier Soudé
L’Atelier Soudé reconditionne aussi des ordinateurs pour les revendre à prix très bas. Les adhérent·es peuvent y participer lors d'ateliers nommés Linux et Populus, non ouverts au public.

Allonger la durée de vie des appareils est un levier fondamental pour réduire leurs impacts environnementaux (épuisement des ressources, consommation d’énergie, transport…) qui sont à « 80% […] dus à la fabrication des appareils », d’après l’Ademe. Pour un ordinateur ou une tablette, « passer de 2 à 4 ans d’usage améliore de 50% son bilan environnemental ».

Un smartphone voyage 800 000km soit 20x le tour de la Terre avant d'arriver dans notre poche
A l’Atelier Soudé, le public est sensibilisé à l’impact écologique des appareil numériques.

Sans parler des économies ! « Faire changer un écran de téléphone par un·e pro coûte minimum 150€. Acheter l’écran seul coûte environ 40€. Le réparer chez nous c’est gratuit, et ça ne prend qu’entre 1 et 4 heures », assure Camille de la Rebooterie. Toutes deux précisent qu’elles n’avaient aucune compétence en réparation numérique avant d’intégrer leur association respective. Elles prouvent que tout s’apprend.

À Lyon, on trouve des pièces chez AG électronique ou Gonephone. En ligne, sur les sites d’Utopya (moyennant un compte profesionnel), Bricophone et iFixit. Pour les ordinateurs, il est possible de se tourner vers les sites eComposant, E44 ou TouchedeClavier.

Références :

[Photos : Maïlys Belliot]

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