Campus virtuels : révolution éducative ou illusion pédagogique ?
Popularisés par la digitalisation de l’enseignement, les campus virtuels promettent un accès élargi à l’éducation, une plus grande flexibilité et des économies non négligeables pour les étudiant·es. Mais cette approche numérique n’est pas dénuée de dérives : risques d’isolement, inégalités d’accès aux technologies et impact environnemental croissant sont autant de menaces induites par la modernisation du système éducatif français.
Les campus virtuels sont des espaces d'apprentissage en ligne où les étudiant·es peuvent :
- accéder à des ressources pédagogiques,
- participer à des cours,
- interagir avec leurs enseignant·es et camarades.
Le tout, sans avoir à se rendre physiquement sur un site. En supprimant les contraintes géographiques et temporelles, ces espaces numériques ouvrent de nouvelles perspectives d’apprentissage.
Les atouts des campus virtuels : une révolution éducative ?
Grâce à ces plateformes sur-mesure, les étudiant·es peuvent suivre des cours depuis n'importe quel endroit, réduisant ainsi les inégalités géographiques. Les campus virtuels offrent également une flexibilité précieuse, qui permet aux apprenant·es d’aménager leur emploi du temps à leur guise et de gagner un temps considérable.
D’un point de vue économique, les campus virtuels réduisent les coûts liés aux déplacements, au logement et aux supports pédagogiques physiques. Selon une étude de l’International Schooling (école américaine 100% en ligne accueillant plus de 14 000 étudiant·es), un·e étudiant·e moyen·e aux États-Unis dépense plus de 1 000 dollars par an en manuels et en matériel de cours : une somme qui peut être largement réduite grâce aux ressources numériques gratuites. Toutefois, ces économies ne sont effectives qu’à condition que les étudiant·es disposent déjà d’un ordinateur et d’une connexion à Internet, dont le coût initial peut être un frein.
Pour réussir ses études aujourd’hui, il est nécessaire d’être en possession d’un matériel numérique à la hauteur.
Paul Mayaux, président de la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE)
Pour certaines écoles, les campus virtuels ne se limitent pas à de simples plateformes de visioconférence. En France, NEOMA Business School a fait le choix de développer un environnement immersif où étudiant·es, professeur·es et collaborateurs·rices interagissent sous forme d’avatars personnalisés.
Ces personnages permettent aux utilisateurs·trices d’évoluer librement sur le campus numérique : assister à un cours, rejoindre un groupe de travail, participer à une conférence et même faire du sport (en contrôlant leur avatar lors d’activités interactives comme des courses virtuelles, des jeux collectifs ou des séances de relaxation).
Cette approche immersive recrée une forme de proximité sociale, qui a tendance à se perdre avec les formats classiques de visioconférence. Les étudiant·es de cet établissement décrivent leur campus virtuel comme « stimulant », instaurant une « impression de présence », et « plus propice à l'apprentissage ».
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Apprendre seul·e face à son écran : les défis des campus numériques

Toutefois les campus virtuels présentent aussi des désavantages, notamment car ils favorisent l’isolement social. C’est ce que déplore Léa, élève de première année du Programme Grande École de NEOMA Business School, qui se sent seule et démotivée lors des séances d’apprentissage en ligne.
Julie-Sophie, étudiante à l'ICN Business School, constate aussi les limites de ce type d'outil dans son école. Si elle reconnaît que la plateforme ICN Learning (qui propose des cours enregistrés et des ressources complémentaires) se révèle utile, l'étudiante souligne des problèmes techniques récurrents et un manque d’interaction directe avec les professeur·es. « Sans encadrement en présentiel, il est plus difficile de maintenir sa motivation, et certaines notions restent floues. », confie-t-elle.
Par ailleurs, en dépit du manque de données chiffrées précises à ce sujet, il est clair que l'apprentissage en ligne est un frein aux opportunités de réseautage des étudiant·es. Les associations étudiantes, comme les événements organisés sur les campus et les interactions informelles entre camarades permettent de nouer des contacts qui peuvent s’avérer précieux tout au long d’une carrière. Avec les cours en ligne, ces opportunités se font rares, mettant en péril l'un des atouts majeurs des études supérieures : l'intégration professionnelle des étudiant·es.
Autre problématique de ces plateformes d’apprentissage en ligne : l’inégalité d’accès aux technologies.
1,5%
des étudiant·es français·es (soit 30 000 sur 2 millions) ne disposerait pas d’un ordinateur
Source : enquête réalisée par l’Association des vice-présidents numériques de l’enseignement supérieur (VP-Num) en juin 2020 auprès de 43 établissements.
Par ailleurs, pour pouvoir suivre efficacement une formation à distance, il est indispensable d'être à l'aise avec les outils informatiques. Ce qui n’est pas donné à tous les apprenant·es, particulièrement les étudiant·es en situation de handicap ou issu·es de milieux défavorisés.
Enfin, l’augmentation du temps d’écran a des effets préoccupants sur la santé des jeunes, favorisant la sédentarité et les troubles du sommeil, comme le souligne un rapport publié par le journal Le Monde en 2024 sur l’hyperconnexion des élèves et indiquant que « le droit des élèves à la déconnexion doit être formellement reconnu ».
Les campus virtuels, au service des intérêts économiques des écoles
Si les campus virtuels sont souvent présentés comme une innovation pédagogique, ils se mettent aussi au service des impératifs économiques des écoles. Bien souvent, les établissements mettent en avant l’accessibilité et la flexibilité offertes par ces plateformes en ligne, tout en soulignant leur capacité à renforcer la collaboration entre étudiant·es, quel que soit leur lieu de résidence.
Par exemple, NEOMA Business School présente cette approche comme une opportunité de rapprocher ses étudiant·es réparti·es sur les campus de Reims, Rouen et Paris : « C’est extraordinaire de pouvoir vivre cette expérience. On peut rencontrer plus d’étudiants et partager des choses avec eux, c’est très intéressant, […] nous avions à cœur de réunir tous nos étudiants dans une même unité de lieu et de temps », affirme Alain Goudey, directeur de la transformation digitale de l’école.
Cependant, cette vision idéalisée masque parfois des motivations financières. En centralisant les cours et les activités en ligne, les écoles réduisent leurs coûts d’infrastructure et touchent un plus grand nombre d’étudiant·es sans investir dans de nouveaux campus physiques. De plus, en permettant aux chargé·es de cours d’accueillir davantage d’élèves simultanément, les écoles optimisent les effectifs et diminuent le nombre d’heures de cours à dispenser, réduisant ainsi les coûts liés aux postes d’enseignant·es.
Par ailleurs, avec les campus virtuels, il est possible de suivre les faits et gestes digitaux des étudiant·es : à quel moments ils·elles se sont connecté·es, avec qui ils·elles ont échangé, combien de temps ils·elles ont assisté à un cours, etc. Couplé à l'intelligence artificielle, des systèmes d'analyse des comportements et réactions des étudiant·es encore plus poussés sont envisageables.
Vers des campus virtuels plus inclusifs et durables : quelles solutions ?
Pour limiter les inconvénients des campus virtuels, plusieurs pistes sont envisageables :
- Développer l’interaction et l’engagement des étudiant·es. Pour favoriser leur motivation, il est crucial d’intégrer des activités interactives lors des cours en ligne : séances en petits groupes, discussions en direct, feedbacks personnalisés… la participation active des élèves lors des sessions en distanciel est essentielle à leur engagement et à leur compréhension.
- Réduire la fracture numérique. Face aux inégalités, il est nécessaire de garantir un accès équitable aux outils technologiques. Cela peut passer par des prêts d’équipements ou des subventions pour l’achat de matériel et de forfaits Internet de qualité. C’est déjà le cas au sein de l'Université de Lille, où près de 1 400 ordinateurs sont prêtés chaque année depuis 2019 à des étudiant·es en situation de précarité numérique. De son côté, l’Université de Nantes a mis en place en 2020 un « pass numérique » qui a permis d’apporter un soutien financier à 2 200 étudiant·es : 100€ pour souscrire à un abonnement à Internet.
- Limiter l’impact environnemental des campus virtuels. Les étudiant·es, tout comme les établissements scolaires, peuvent favoriser l’utilisation d’équipements reconditionnés et choisir des hébergeurs responsables. Ainsi, en Alsace, des acteurs de l’économie solidaire offrent à chacun·e la possibilité de s’équiper de manière responsable et à moindre frais. Par exemple, à Schiltigheim, l’association Desclicks commercialise du matériel informatique d’occasion revalorisé. À Strasbourg, la société coopérative Commown propose des services de location d’appareils électroniques. Un bon moyen de s'équiper tout en réalisant des économies et en soutenant une démarche solidaire.
Comme le souligne l’étude d’International Schooling : « l’apprentissage en ligne s’intègre partout, à tout moment et dans n’importe quel domaine ». Dès lors, les campus virtuels sont une opportunité de taille pour démocratiser l’éducation et offrir une flexibilité précieuse aux étudiant·es. Cependant, ils comportent aussi des désavantages, notamment en termes d’isolement social, d’inégalités financières et de pollution numérique. Pour assurer l’efficacité de l’apprentissage en ligne à long terme, il est essentiel d’adopter une approche équilibrée et inclusive, qui favorise l'interaction sociale, réduit la fracture numérique et limite l’empreinte environnementale des appareils et plateformes utilisées.
Références :
- International Schooling - Découvrez les principaux avantages de l'apprentissage en ligne : un guide pour réussir
- NEOMA Business School - Campus Virtuel
- Learn Assembly Papers - NEOMA Business School, ou le choix du campus virtuel pour la rentrée
- IPAG Business School - Quels sont les avantages et inconvénients des cours en ligne ?
- Le Monde - « Le droit des élèves à la déconnexion doit être formellement reconnu »
- Université de Lille - Accompagnement numérique
- Dernières Nouvelles d'Alsace - La fracture numérique pénalise aussi les étudiants
- Info Jeunes Pays de la Loire - Le Pass Numérique : une aide de l'Université de Nantes pour les étudiants en difficulté
- Desclicks - Le site de l'association
- Commown - Le site de la coopérative
[Photo de couverture : Tim Gouw]
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