Fuir la toxicité : les nouveaux visages des réseaux sociaux alternatifs

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Jordi Lafon-LacazeJordi Lafon-Lacaze

10 min

Fuir la toxicité : les nouveaux visages des réseaux sociaux alternatifs

Face aux dérives des réseaux sociaux historiques et à la radicalisation politique de leurs propriétaires, de nouveaux projets se mettent en ordre de bataille pour proposer des alternatives. En France comme au Québec, des plateformes cherchent à se montrer plus responsables.

Les dérives des réseaux sociaux sont nombreuses et largement documentées. Ceux-ci alimentent des problèmes de santé mentale, particulièrement chez les enfants et les adolescent·es. Ils changent notre rapport à l'information, en tendant à nous enfermer dans des bulles de filtres et en favorisant la diffusion de fausses informations. Enfin, ce sont des espaces dans lesquels nos données sont massivement récoltées puis commercialisées, dans le but de nous donner à voir de la publicité ultra ciblée.

Tout ce que Qwice, plateforme de micro-blogging qui ressemble à première vue à X (ex-Twitter), cherche à éviter. « L'ADN de notre réseau social, c'est d'avoir un impact humain et sociétal positif. Comme ça ne peut pas reposer sur la bonne volonté des utilisateurs, nous avons créé des fonctionnalités qui favorise les échanges constructifs » raconte Bruno Leralu, chef de projet innovation et co-fondateur de Qwice.

En ligne en version Bêta depuis un an, le réseau compte près de 10 000 utilisateurs·rices. La plateforme vise notamment à rendre aux utilisateurs·rices la maîtrise de l'algorithme façonnant leur fil d'actualité, grâce à des « thèmes » - auxquels on s’abonne d’une part, et suggérés d’autre part.

Ce que vous voyez: Freestyle / Equilibre / Sérénité
Niveau de confiance d'un·e utilisateur·rice sur Qwice

Ses développeurs·ses cherchent à dépasser le « like » qu’ils·elles considèrent « très réducteur parce que c’est une réaction émotionnelle uniquement ». Chaque post peut donc être évalué sur des critères positifs et négatifs, qui se veulent des recommandations pour rendre la publication plus constructive. Ces évaluations forgent une réputation à trois niveaux pour chaque utilisateur·rice. Ensuite, on peut soi-même choisir d’exclure de son fil l’activité des comptes les plus mal évalués.

Conseils / Avertissements / Contenu trop émotionnel ou choquant / Ajouter une source fiable / Adopter un ton moins insultant et plus constructif dans l'argumentation / Eviter les biais et reformuler avec des arguments factuels / Participer de manière constructive et éviter les provocations / A clarifier
Critères d'évaluation négatifs sur Qwice
Evaluations positives / Bien sourcé - Information vérifiée, preuve vérifiable... / Objectif - Non biaisé, point de vue général.... / Etayé - Développé, construit, bien expliqué... / Créatif - Création personnelle originale et inventive / Utile ou pertinent - Enrichissant, constructive ou utile pour la communauté
Critères d'évaluation positifs sur Qwice
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Dépasser l’économie de l’attention

C’est sur ce type d’évaluations que l’algorithme se base pour mettre en avant les publications, et non sur la simple réaction. L’équipe de Qwice entend ainsi sortir de l’économie de l’attention qui favorise « le buzz, la polarisation, la désinformation » selon son co-fondateur.

Le chantier a commencé en 2020, sans volonté à l’origine de créer un réseau social, simplement d’apporter des solutions aux dérives des réseaux existants.

On ne trouve pas normal qu'un réseau social alimente des problèmes de santé mentale. Un réseau social, ça doit être avant tout un lien social, capable de faire dialoguer entre eux des gens qui sont d'opinions différentes.

Bruno Leralu, fondateur de Qwice

Mais comment dépasser ce modèle tout en créant un projet rentable ? Qwice est enregistré en SAS. Son modèle économique sera semblable à celui de X, avec des revenus publicitaires et la possibilité de souscrire à un abonnement. Celui-ci offrira un accès sans publicité ainsi que des fonctionnalités supplémentaires (traitement prioritaire par le système de modération, pas de limite de temps pour modifier un post, etc.).

Le projet a jusqu’ici été mené sur fonds propres et les abonnements sont en place (il existe également un Tipee), mais pas les publicités. Bruno Leralu souhaite que celles-ci soient « non-invasives », c’est-à-dire limitée dans leur nombre. Elles pourront être ciblées, mais il garantit que les données seront exploitées seulement « au service de l’utilisateur » et qu’elles ne seront pas vendus à des entreprises tierces.

La nécessaire souveraineté numérique

Outre-Atlantique, un autre projet vise un modèle plus radical via une coopérative à but non-lucratif. Cette plateforme encore en construction se nomme Nouvelle Place. L'initiative est née d’une nécessité de reprendre la main sur les plateformes.

En 2023, le gouvernement canadien adopte la loi C-18, aussi connue sous le nom de "loi sur les nouvelles en ligne". Son objectif : rééquilibrer le rapport de force entre les producteurs de contenus d'information et les plateformes qui s'en nourrissent. La loi impose donc aux plateformes de plus de 4 millions d’utilisateurs·rices au Canada (en l’occurrence Facebook et Google) de reverser une part des revenus générés sur leurs réseaux aux médias d’informations. L'intention étant d'assurer à ceux-ci une rémunération plus juste pour leur activité sur ces réseaux.

Sauf que Meta refuse de se soumettre à cette nouvelle règle et coupe l’accès à tous les comptes de médias d’informations pour les utilisateurs·rices canadiens. Un rappel brutal de ce qu’il en coûte de dépendre d’une puissance étrangère pour l’accès à l’information.

Ce contenu n'est pas visible au Canada En réponse à la législation du gouvernement canadien, les contenus d'actualités ne peuvent pas être affichés au Canada. En savoir plus
Capture d'écran d'un message Instagram lorsqu'on tente de consulter le compte d'un média d'information depuis le Canada

Une équipe, majoritairement issue du secteur des médias en ligne, s’est appuyée sur cette mésaventure pour construire un réseau de micro-blogging qui répond à de meilleures exigences en matière d’information.

Leur modèle économique entend diversifier au maximum les sources de revenu : « un revenu provenant des membres de la coopérative, individus et corporations, qui devront investir pour acquérir des parts, puis s’acquitter d’une cotisation annuelle. De la publicité, même si cela reste encore à déterminer démocratiquement au sein de la coopérative. Et nous espérons accéder à des financements publics. Enfin, nous étudions la possibilité de faire appel à des mécènes extérieurs » liste Patrick Pierra, président de Nouvelle Place.

En revanche, tout le monde ne sera pas logé à la même enseigne : « Pour ce qui est des entreprises, nous souhaitons limiter au plus bas le tarif d’entrée pour celles qui produiront du contenu d’utilité publique. Les entreprises qui viendront sur la plateforme pour promouvoir leur produit dans une recherche de profit paieront un prix supérieur, calculé en proportion du nombre d’employés. »

Pour les individus, l’inscription sera gratuite, mais avec un accès limité. Si vous souhaitez poster sur le réseau, il faudra devenir membre de la coopérative. Un juste milieu pour attirer un maximum de personnes sans poser de barrière tarifaire à l’entrée, tout en encourageant à s’engager dans le projet.

Du côté de chez Qwice aussi, on refuse de faire appel à des services américains et on tient au Made in France. Les deux réseaux partagent donc les mêmes valeurs, mais l’ambition de Nouvelle Place apparaît plus politique :

On ne peut pas tolérer le fait que des représentants politiques soient entièrement dépendants de plateformes étrangères pour s’adresser à leurs administrés.

Patrick Pierra, président de Nouvelle Place

Ce qui unit les deux démarches, c’est une nécessité de reprendre la main sur des réseaux devenus incontournables. Pour Patrick Pierra, c’est un enjeu de compréhension et de maîtrise :

La réponse de la plupart des gouvernements jusqu’à aujourd’hui a été de réglementer. C’est nécessaire mais insuffisant, parce qu’on ne réglemente efficacement que ce que l’on comprend. Or, personne en dehors des entreprises qui hébergent ces réseaux ne maîtrise réellement leurs algorithmes.

Patrick Pierra

Même détermination chez Bruno Leralu : « Sur les autres réseaux sociaux, c'est l'algorithme qui décide de ce qu'on doit voir. Sur Qwice, c'est l'utilisateur qui a la main sur l’algorithme. » Chacun mesure l’ampleur de la tâche, mais n’oublie pas que l’histoire des réseaux sociaux reste récente. Et surtout, ils considèrent qu’il n’y a pas d’autre choix que de s’atteler à la création de quelque chose de nouveau.

Références :

[Photo de couverture : Karsten Winegeart]

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