La fin du Web tel qu'on le connaît ?
L'intelligence artificielle a conquis de nombreux aspects de notre vie. Le Web ne fait pas exception, et semble de plus en plus dominé par cette technologie.
D’un Web aux valeurs humanistes à un Web des robots
Tim Berners-Lee est le chercheur britannique à l’origine du Web. Au départ, l’idée derrière le projet « World Wide Web » était de permettre aux scientifiques du monde entier de s’échanger des informations et ce, de manière instantanée. Tim Berners-Lee, au fil du temps, est devenu défenseur d’une vision utopiste du numérique où le Web serait universel, gratuit, libre et transparent.
Depuis, le Web a bien changé. Il n’est plus nécessairement l’apanage des humain·es ou des scientifiques puisqu’une tout autre forme d’intelligence est apparue. Selon un rapport d’Imperva (société américaine éditrice de logiciels et de services de cybersécurité), les bots étaient à l’origine de plus de la moitié du trafic Internet en 2024.
Un bot est un logiciel qui exécute des tâches automatisées et répétitives sur un réseau. Son autonomie peut varier selon sa conception et son utilité. Certains sont bienveillants (comme les chatbots) et d’autres malveillants (comme les bots de spam).
Alors évidemment, quand on parle de (ro)bots, il n’est pas question de machine surpuissante à la Terminator. Nous en sommes encore très loin… mais pour combien de temps ?
En avant la désinformation
Le problème de l’intelligence artificielle et des bots, c’est qu’ils peuvent être utilisés comme canaux de transport pour la désinformation. L’organisation américaine NewsGuard, dont le service se concentre sur la fiabilité de l’information, a recensé en février 2025 pas moins de 1254 « sites d’actualité non fiables générés par l’IA et fonctionnant avec peu ou pas de supervision humaine ». Or, laisser l’intelligence artificielle dicter l’information sans quasiment aucune source d’origine humaine est un pari risqué.
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Finie l’ère du Web, bienvenue dans le monde de ChatGPT
S’infiltrant insidieusement dans nos quotidiens, ChatGPT est devenu incontournable. Vous vous posez une question ? Ne passez pas par Google, c’est démodé, ça ferait boomer : optez plutôt pour Open AI. Avec 50 millions d’installations au premier semestre 2025, ChatGPT est devenu en juin dernier l’application la plus téléchargée au monde, devançant même TikTok et Instagram.
Obtenir directement une réponse sans passer une quinzaine de minutes à cliquer sur des liens : le rêve de tout utilisateur·rice ? Avec l’IA, c’est désormais possible. L’introduction de cette technologie dans nos modes de vie est parfois accompagnée d’une politique publique. Fin 2024, la ville d’Arcachon faisait l’audacieux choix d’offrir à tous·tes ses habitant·es la version premium de ChatGPT. L’idée ? Permettre à toute personne de bénéficier d’un service l'aidant pour certaines activités (notamment administratives). Contactée pour connaître les retours de ses administré·es sur cette initiative, plus de 6 mois après son lancement, la Mairie d'Arcachon n'a pas répondu à nos sollicitations.
La disparition des sources et de la diversité
En avril dernier, la Fondation Wikimédia (un organisme à but non lucratif connu pour développer des projets collaboratifs) dénonçait une submersion du trafic des robots d’IA sur les serveurs de Wikipédia.
En novembre 2024, une coalition de médias canadiens, comprenant notamment CBC et Radio-Canada, a lancé une action en justice contre Open AI. Il était reproché à l’entreprise de Sam Altman de se servir gratuitement dans les publications journalistiques sans même renvoyer l’utilisateur·rice vers les sources.
Dans un entretien au journal Le Monde en date du 6 juillet 2025, la sociologue Francesca Musiani affirme : « Il y a un risque que le Web du futur ait des IA comme lecteurs plutôt que des internautes. » Elle pointe également du doigt la « standardisation » des réponses. Car l’IA, face à une question, donnera en fonction de ses données la réponse la plus consensuelle possible, au détriment de certaines pensées ou contenus moins répandu·es.
Des conséquences écologiques néfastes
Au niveau environnemental, l'utilisation de l'intelligence artificielle est de plus en plus décriée. Lancer une recherche via l'IA générative plutôt que sur Google engage considérablement plus de ressources. Ainsi, poser une simple question à ChatGPT consommerait environ 10 fois plus d'électricité qu'une recherche sur Google, d'après l'Agence Internationale de l'Energie.
Dans un article de Ouest-France publié le 30 janvier, Amélie Cordier, docteure en IA à l'université Lyon 2, relevait : « On ne peut pas mobiliser autant de données pour obtenir une simple recette d’œufs au plat à la ciboulette… ça n’a aucun sens ».
L’intelligence artificielle semble donc prendre le dessus sur le Web. Matthew Prince, patron de Cloudflare (entreprise américaine visant à augmenter la sécurité et les performances des sites de leurs clients), estime dans un entretien pour Numerama mis en ligne le 10 mai 2025 que « le modèle économique du Web ne peut pas survivre sans changement, car de plus en plus, les réponses aux questions que vous posez ne vous mèneront pas à la source originale, mais à un dérivé de cette source ».
Ce qui est certain, c’est que nous sommes au seuil d’un basculement. Posons-nous cette question aujourd’hui : ce Web de l’IA et des bots nous convient-il ?
Références :
- Radio-France - Tim Berners-Lee, le génie inventeur du web
- The Guardian - Tim Berners-Lee : Why I gave the world wide web away for free
- NewsGuard - Suivi de la mésinformation facilitée par l'IA : 1.254 "sites d'actualité non fiables générés par l'IA" et les principales infox générées par les outils d'IA
- Clubic - Et l'application la plus téléchargée en 2025 est...
- Sud Ouest - ChatGPT offert aux habitants d’Arcachon : « Peut-être va-t-il m’aider pour entretenir mes plantes ? »
- RTBF - Les bots de l’IA mettent en danger Wikipédia
- Sciences et Avenir - Le Web assiégé par les robots de l'IA
- Radio-Canada - Des médias canadiens s’unissent pour poursuivre en justice OpenAI
- Le Monde - Comment les réponses générées par IA menacent les fondamentaux du Web
- Ouest-France - Poser une question à ChatGPT ou DeepSeek consommerait une énergie folle... et inutile
- The Guardian - TikTok’s annual carbon footprint is likely bigger than Greece’s, study finds
- Numerama - Pour la première fois, un géant de la tech affirme que l’IA va tuer le web
[Photo de couverture : Getty Images]
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