L'IA à l'école, entre appréhension et expérimentations

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Marie FrumholtzMarie Frumholtz

8 min

L'IA à l'école, entre appréhension et expérimentations

Dès la rentrée 2025, les élèves de 4e et de 2de devront désormais suivre une formation en ligne obligatoire de sensibilisation à l'IA. Les enseignant·es ont toute liberté d'expérimenter au travers de leurs cours, à condition de respecter quelques règles de base.

Presque trois ans après le lancement de ChatGPT, première IA générative de textes et d'images, seul·es 20 % des enseignant·es utilisent l’IA... alors que les collégien·nes, lycéen·nes et étudiant·es y ont massivement recours, selon le Ministère de l’Éducation nationale.

Ce dernier a publié en juin 2025 un cadre d'usage sur l'IA à l'école (annoncé depuis janvier). Il y est notamment rappelé qu'à compter de cette rentrée, dès le premier degré, les élèves devront être « sensibilisés aux connaissances de base sur les IA », mais sans manipuler directement des services d’IA générative avant la classe de 4e. Quant aux élèves du second degré, ils·elles bénéficieront d’un parcours de formation en ligne dédié allant de 30 minutes à 1h30, obligatoire en classes de 4e et de 2de.

Dans la vingtaine de pages qui constituent ce document, quelques obligations légales sont indiquées, comme le fait qu'un·e enseignant·e ne peut demander aux élèves de se créer un compte personnel pour utiliser des services d'IA grand public, au nom de la protection des données personnelles.

Il y est également affirmé que toute utilisation d'une IA par un·e élève pour réaliser un travail, sans y être autorisé·e par un·e professeur·e, est considéré comme une fraude. Pour le reste, aucune obligation ni interdiction stricte n'est donnée aux enseignant·es pour intégrer ou non l'IA dans leurs cours.

Dans un communiqué daté du 11 juin dernier, le Syndicat national des enseignements de second degré (SNES-FSU) regrette que ce cadre d'usage s'attarde peu sur les effets néfastes de l'IA, « qu’ils soient économiques, écologiques, politiques, ou cognitifs ». Selon le syndicat, ce « texte reprend en fait à son compte les discours publicitaires des entreprises de l’EdTech [start-ups spécialisées dans les technologies éducatives, comme des logiciels d'apprentissage par exemple, ndlr]», affirmant qu'aucune étude ne prouve les vertus pédagogiques des outils fondés sur l'IA.

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Une liberté pédagogique revendiquée

Pour Line Neeff, proviseure adjointe du lycée Freppel à Obernai et membre du Syndicat national des personnels de direction de l'Éducation nationale (SNPDEN), ce cadre d'usage a l'avantage de donner des repères tout en respectant la liberté pédagogique des enseignant·es. « Un cadre trop prescriptif est plus complexe à respecter », avance-t-elle.

L'IA peut soutenir le travail des enseignants dans la préparation de leurs cours, de leurs corrections, etc., mais elle ne remplace en aucun cas l'effort pédagogique et la relation humaine avec l'élève.

Line Neeff

De nombreux enseignant·es n'ont d'ailleurs pas attendu la publication du cadre d'usage pour se saisir de différents outils, comme Cécile Cathelin, professeure de lettres modernes en lycée. « J'explique d'abord à mes élèves l'histoire de l'IA et d'où viennent les IA génératives, car ils s'en servent sur leur téléphone sans savoir ce que c'est. Ensuite, je leur apprends à prompter [formuler une requête précise auprès de l'IA, ndlr]. Cela induit d'être précis et de connaître son cours », détaille-t-elle.

La professeure recommande à ses élèves de tester plusieurs outils fondés sur l'IA, comme Perplexity, Mistral ou NotebookLM, afin de se créer des fiches, un chatbot (robot conversationnel) de révision ou pour les aider à construire un plan de dissertation. « Ces outils permettent de mettre en place une pédagogie différenciée, on gagne en flexibilité », poursuit Cécile Cathelin.

Il existe aussi des outils spécifiques pour les élèves dyslexiques fondés sur une IA non générative, qui peut scanner le brouillon de leur devoir et les aider à corriger certaines fautes de français. « Ce dispositif est moins lourd qu'un tiers temps [temps supplémentaire laissé aux élèves ayant des difficultés lors des devoirs et examens, ndlr] », avance Cécile Cathelin.

Montrer les limites

La sensibilisation aux dérives des IA génératives est également essentielle :

Les élèves utilisent massivement l'IA, mais ils confondent ''bien rédiger'' et ''quelque chose de juste''. Ils ne comprennent pas que l'IA génère systématiquement une réponse et que celle-ci peut être fausse à cause de ses biais et hallucinations.

Line Neeff

Françoise Cahen, professeure de lettres en lycée, s'attache justement à aiguiser l'esprit critique de ses élèves. « Je leur demande de générer une illustration pour un texte que nous étudions en classe, comme "La bête humaine" d'Emile Zola dont une des héroïnes est musclée et obèse en même temps. Nous avons essayé plusieurs IA avec différents prompts, mais impossible d'obtenir autre chose que des images stéréotypées de jeunes femmes minces », relate l'enseignante.

Cela n'a cependant pas empêché ses élèves de s'essayer à la triche. Pour un simple exercice consistant à relever des citations dans un court texte, « même le meilleur élève de la classe a eu recours à ChatGPT plutôt que de faire le travail lui-même », déplore l'enseignante. Résultat : un nombre incalculable de citations inventées par l'IA et des heures de corrections pour l'enseignante.

« De manière générale, il vaut mieux ritualiser l'usage des outils numériques avec les élèves, sinon ils ne vont s'en servir qu'occasionnellement et mal. Il faut aussi insister sur la vérification des informations obtenues », renchérit Cécile Cathelin.

Surmonter les inquiétudes

« Il ne faut pas hésiter à expérimenter et à se donner les moyens de voir ce qu'il se passe », affirme Jean-François Cerisier, professeur de sciences de l’information et de la communication à l'université de Poitiers. D'autant plus que le cadre d'usage donné par l’Éducation nationale est susceptible d'évoluer. « Il y a plein d'établissements qui lancent des projets autour de l'IA en cette rentrée. Ça bouge sur le terrain et des remontées vont pouvoir se faire », assure Cécile Cathelin.

Cela va aussi permettre de surmonter certaines inquiétudes, que Jean-François Cerisier estime similaires à celles suscitées dans les années 1990 par les CD-ROM.

Pourquoi apprendre si tout est contenu là-dedans ? Il suffit juste de savoir utiliser un CD-ROM, se disait-on déjà à l'époque. Mais aujourd'hui, cette technologie est complétement dépassée, et les peurs qui allaient avec aussi.

Jean-François Cerisier

Cependant, la formation des enseignant·es aux technologies reste un enjeu important. En matière d'IA, Line Neeff estime que ce sont « les échanges entre les professeurs eux-mêmes, de toutes les disciplines » qui constituent la stratégie la plus efficace.

Le Ministère de l’Éducation, quant à lui, annonce développer « une IA souveraine, ouverte et évolutive à destination des enseignants, qui sera disponible dès l’année scolaire 2026-2027 ». Un outil qui devrait permettre « de soutenir les enseignants dans leurs activités telles que la préparation des cours ou l’évaluation des élèves ». L'IA n'a donc pas fini de faire parler d'elle à l'école.

Références :

[Photo de couverture : Unsplash+]

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