Kits de test ADN en ligne : ludiques mais intrusifs

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Maëlys T.Maëlys T.

4 min

Kits de test ADN en ligne : ludiques mais intrusifs

Qui n'a jamais voulu connaître ses origines ? Certaines entreprises étrangères proposent d'identifier l'origine de ses ancêtres à partir d'un simple test salivaire commercialisé sur Internet. Pourtant, l'ADN est bien plus qu'une donnée personnelle puisqu'on le partage avec ses proches. De quoi y réfléchir à deux fois avant de le confier à n'importe qui.

Contrairement à un mot de passe, il n’est pas possible de changer son ADN.

Source : CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés), 2024

Mars 2024 : la CNIL appelle à la vigilance concernant l'usage de tests génétiques à but récréatif sur Internet. Selon l'article 226-28 du Code pénal, il est strictement interdit de faire de la publicité pour ce type de service, pourtant des campagnes de publicités et d'influence pour des tests ADN individuels ont été diffusées auprès des français·es entre 2018 et 2022. Bien qu'il faille dorénavant indiquer une adresse de livraison hors du territoire français, on compterait entre 100 000 et un million de français·es ayant déjà acheté un kit ADN en ligne.

L'ADN étant considéré comme une donnée pluripersonnelle, le confier à autrui sans raison impérieuse (par exemple de santé ou dans un cadre judiciaire) et sans demander l'accord de l'ensemble des personnes concernées (soit la famille proche) est une infraction. Les acheteurs·ses de tests récréatifs risquent ainsi une amende de 3750 euros. Qu'est-ce qui pousse ces personnes à outrepasser la loi, et pour quels résultats ?

Tests génétiques récréatifs : des données fiables ?

Concrètement, une personne souhaitant réaliser un test génétique achète un kit en ligne et envoie un peu de salive sur un coton-tige à une société privée étrangère. Les motivations sont multiples : retracer le parcours géographique des migrations de sa famille ou découvrir des parents proches. Si la question des origines des individus est assez récente dans la construction de l'identité, l'évolution des techniques de décomposition de l'ADN accroît la curiosité des adeptes de la généalogie. Certaines sociétés proposent ainsi, dans leurs résultats, d'indiquer le pourcentage d'ancêtres originaires de telles ou telles régions du monde.

Bon à savoir : ce ne sont pas des laboratoires publics (ni sous responsabilité publique) qui effectuent ce type de tests, mais des entreprises privées. A l'heure actuelle, rien ne les oblige à publier les méthodes qui leur permettent d'annoncer leurs résultats : ceux-ci peuvent donc être erronés.

Les facilités croissantes à interpréter les données génétiques, le fait qu’elles soient dépendantes de l’informatique pour leur exploitation et interprétation, leur caractère potentiellement discriminant et les risques posés par une interprétation fausse et hors contexte médical expliquent la vigilance portée à leur traitement.

Source : CNIL, 2024

Prenons le cas d'un français aux ancêtres issus des Hauts de France et d'Occitanie. S'il effectue un test génétique, il pourrait se découvrir des origines flamandes et espagnoles... tout simplement car la méthode employée ne parvient pas à déterminer de différences entre une personne vivant à quelques kilomètres d'une frontière et une personne du pays même.

Concernant la question du pourcentage, il est également possible d'obtenir des résultats différents dans une même famille car la composition d'un ADN provient à 50% de celui de la mère, 50% du père. Chaque enfant pioche certaines caractéristiques parmi celles de ses deux parents. L'héritage génétique des ancêtres diffère donc également selon les enfants testés.

Récréatifs pour les uns, profitables pour les autres ?

Quel rapport avec la CNIL, et quel lien entre données personnelles et génétiques ? Contrairement à une donnée personnelle, une donnée génétique n'est pas une donnée individuelle : elle inclut des informations sur la famille biologique. Donner son ADN revient à confier de l'ADN familial (descendants, ascendants et famille proche). D'autant plus lorsque la procédure de test demande aux utilisateurs·rices de remplir un questionnaire sur leur famille proche (qui n'a pas donné de consentement pour cela).

Les entreprises de tests génétiques, par le biais de leurs analyses ADN et des questionnaires complémentaires, collectent de précieuses informations. Traits physiques et mentaux d'une personne, événements importants de son histoire et données de santé... autant d'informations pouvant être revendues à des sociétés tierces, qui s'en servent pour démarcher et proposer des produits sans que l'utilisateur·rice n'ait donné son autorisation.

Sans parler des dérives que ce type de tests pourrait engendrer. Imaginons qu'une mutuelle collecte les informations génétiques de ses client·es : elle pourrait par exemple décider d'augmenter les frais d'un cotisant, après avoir constaté qu'il a de fortes chances de mourir avant 50 ans.

Les sociétés commercialisant ces tests apportent peu de garanties sur leur qualité et la sécurité des échantillons et des données (techniques d’analyse, modalités de stockage, etc.). Les conditions générales de ventes et autres documents contractuels sont souvent assez vagues sur les transmissions des données à des tiers et sur les finalités de ces transmissions. Il a déjà été observé que les sociétés en question nouent des partenariats avec d’autres organismes qui réutilisent les échantillons, notamment à des fins de recherche.

Source : CNIL, 2024

Une entreprise de tests génétiques a revendu mes données à un tiers sans mon accord : que faire ?

Même s'il·elle a réalisé un test en toute illégalité, un·e ancien·e utilisateur·rice peut porter plainte auprès de la CNIL s'il·elle constate que ses données ont été revendues sans son consentement. Plus le nombre de plaintes sera important, plus la CNIL pourra effectuer des contrôles. Et infliger des amendes à la hauteur de 20 millions d'euros - ou 4% du chiffre d'affaires - pour manquement au RGPD (règlement général sur la protection des données).

Références :

[Photo de couverture : ANIRUDH]

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