Quand la précarité compromet la sécurité numérique des français

Soutenez un média indépendant

Reportages, enquêtes, initiatives et solutions en accès libre : pour un numérique plus responsable, notre rédaction compte sur vous.

Maëlys T.Maëlys T.

3 min

Quand la précarité compromet la sécurité numérique des français

Payer ses impôts, obtenir le remboursement d'une prestation médicale ou se déclarer en recherche d'emploi : autant de démarches à réaliser sur le Web. Si les services en ligne sont conçus pour qu'un maximum d'usager·es puissent facilement les utiliser, ces outils se révèlent parfois à double tranchant pour les publics les plus précaires.

Qu'est-ce que la précarité numérique ?

Près d'une personne sur 4

se trouvait en situation d'éloignement numérique en 2023

Source : CREDOC (Centre de Recherche pour l'Étude et l'Observation des Conditions de Vie)

Ces français·es rencontrent au quotidien des difficultés pour accéder à une infrastructure en ligne, se connecter au WiFi ou utiliser les outils digitaux. Autant de difficultés qui en font parfois des victimes idéales pour les hackers·ses.

La précarité désigne : "l’absence d’une ou plusieurs des sécurités, notamment celle de l’emploi, permettant aux personnes et familles d’assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales, et de jouir de leurs droits fondamentaux."

Source : Conseil économique, social et environnemental

Le manque de connaissances du numérique peut complexifier :

  • La recherche d'emploi : remplir des dossiers de candidature, naviguer sur le site de France Travail et consulter les courriers adressés.
  • La demande de logement social : remplir les demandes en transmettant les justificatifs demandés, se connecter à son compte pour suivre sa demande...
  • L'accès aux soins : se connecter à son compte, faire une demande de carte vitale ou de complémentaire santé solidaire (ex-CMU), recevoir les remboursements. "Or la santé physique et mentale reste reléguée au second plan, voire s’avère être une préoccupation mineure pour les personnes précaires." (Chantal Zaouche-Gaudron et Paule Sanchou, Revue Empan, 2005).
  • L'éducation : accéder aux devoirs des enfants via École Direct ou Pronote, faire les inscriptions ou justifier une absence.
  • L'accès à la nationalité et aux prestations sociales : les démarches liées à la préfecture, l'apprentissage du français, l'accès aux diverses allocations.

Les personnes en situation de précarité sont déjà particulièrement surveillées par les organismes. Dans ces conditions, la technologie présente le risque de les isoler davantage, en soulignant leur manque de réactivité aux différentes demandes.

De l'oubli du mot de passe à l'extorsion de fonds

Pour accéder à ces différents espaces en ligne, un compte personnel est requis. L'identification des usager·es se fait via une adresse mail et un mot de passe. L'enjeu est de pouvoir protéger ces données personnelles, et garder confidentielles certaines informations sensibles.

Prenons la situation suivante : une personne en grande précarité qui ne comprend pas bien les consignes, par manque de connaissances en informatique ou à cause de la barrière de la langue. Elle fait alors appel à un membre de son entourage pour créer son compte et composer un mot de passe pour accéder aux aides. Le jour où la personne n'est plus en contact avec son aidant·e, elle peut se retrouver en difficulté pour accéder à nouveau à son compte afin de consulter son dossier, mettre à jour sa situation ou faire une nouvelle demande.

Pour un accueil de public en grande précarité, il va y avoir deux enjeux : la sécurité des terminaux et des mots de passe des personnes. On se retrouve alors avec des personnes qui reviennent à chaque session pour retrouver leur mot de passe.

Charlotte Martinez, responsable du programme d’inclusion numérique (Numérique en Commun[s], 2024).

Lorsqu'une personne a besoin d'accéder à différents services comme la CAF (Caisse d'Allocations Familiales), la barrière du mot de passe peu constituer un réel frein. De plus, lorsque les factures à payer s'accumulent ou qu'un avis d'expulsion plane, les données personnelles peuvent vite devenir le cadet de ses soucis. Certain·es arnaqueurs·ses n'hésitent pas à profiter de la détresse de ces publics, en employant diverses stratégies. Par exemple :

  • La personne ciblée reçoit un SMS ou un e-mail. L'émetteur·rice lui propose d'envoyer des dizaines de lettres en la payant 300 euros par jour sans bouger de son fauteuil. Pour cela, elle n'a qu'à envoyer son RIB ou d'autres papiers l'identifiant. L'offre est alléchante et il faut payer le loyer bientôt. Une fois en possession de ces documents personnels, l'arnaqueur·se peut aisément faire des dépenses ou commettre des délits en son nom.
  • Les faux sites administratifs : les arnaques se concentrent sur la difficulté à comprendre ce qui est demandé, et à distinguer un vrai site d’un faux. La personne ciblée consulte un site affichant un logo officiel et du langage "administratif", l'incitant à communiquer des informations personnelles. Autant de données pouvant être utilisées à son insu par la suite.

Et si la prochaine personne vulnérable, c'était vous ?

Les aidant·es du numérique, comme la famille proche ou les services sociaux et de santé (éducateur·rice spécialisé·e, assistant·e social·e, médiateur·rice social·e...) se retrouvent souvent démuni·es face aux arnaques en ligne : savoir les détecter ne fait pas partie de leur formation initiale.

Peut-être êtes-vous également un·e aidant·e numérique, parfois dépassé·e alors que vous souhaitez accompagner au mieux l'un·e de vos proches. Nous sommes tous·tes amené·es à rencontrer une difficulté face aux outils et services numériques, ou une personne dans cette situation. D'où l'importance de s'informer sur ces risques, pour éviter les pièges présents au quotidien dans notre vie digitale.

Références :

[Photo de couverture : Kobu Agency]

Soutenez-nous en partageant l'article :

Sur le même thème :