Sur les réseaux sociaux, l'éducation des femmes à l'indépendance financière attire influenceurs... et arnaqueurs
Les contenus d'éducation financière en ligne se multiplient, et ceux destinés aux femmes diffèrent de ceux qui s'adressent aux hommes. Entre la tenue d'un budget et les investissements calculés, les conseils sont nombreux. Les risques d'arnaques aussi...
« J'ai officiellement atteint les 700 000 € de patrimoine à 31 ans et je vais te montrer exactement comment je vais atteindre le million d'ici 5 ans », avance Adam Finances dans l'un de ses Reels sur Instagram. De son côté Fabienne, fondatrice de L'école de l'argent, propose un programme intitulé « ''gérer son argent et ses émotions'': 6 mois de formation pour savoir gérer ton budget en te connaissant mieux ».
Ces deux « coachs » sont loin d'être les seul·es à surfer sur le créneau de l'éducation financière. Les contenus sur le sujet foisonnent sur les réseaux sociaux, mais ils restent très genrés. Ceux sur les investissements à risque, comme les cryptomonnaies, s'adressent majoritairement aux hommes. Les femmes, elles, reçoivent davantage de conseils pour apprendre à gérer leur budget. Cela ne tient pas qu'aux algorithmes : le rapport à l'argent diffère selon le genre.




11%
seulement des femmes investissent en bourse, soit deux fois moins que les hommes (24%)
D'après une étude Ifop datant de mars 2024
Alors les contenus s'adaptent. Plan Cash, par exemple, se présente comme « l'application mobile d'éducation financière pour les femmes. Elle vise à inspirer, former et fournir des outils concrets aux femmes pour améliorer leur situation professionnelle et financière. »

Maeva, sur son compte Instagram Mon Budget Bento, parle de « succession, mariage, régimes matrimoniaux, investissement immobilier... bref, tout ce qui impacte la vie et l'argent. Mon objectif est que les abonnés trouvent ce dont ils ont besoin. La plupart des informations sont disponibles sur les sites des services publics, mais elles ne sont pas toujours claires, je les rends digestes ». Son compte est suivi à « plus de 80 % par des femmes qui n'ont pas de problèmes d'argent, voire qui ont déjà des connaissances en la matière ».
Des préjugés qui s'effritent doucement

Anna, derrière le compte Instagram La Petite Budgeteuse, s'est lancée en 2019 pour documenter la reprise en main de ses propres finances. Pour elle, le succès des contenus d'éducation financière auprès des femmes « va dans le sens de leur émancipation économique. Maîtriser son argent, c'est reprendre le pouvoir sur sa vie ».
De son côté la journaliste Anna Borrel, fondatrice en 2021 avec Laurence Vély du podcast Thune, estime que l'argent est « encore un tabou social, intime et politique ». En diffusant les interviews de chercheuses, d'un agent immobilier ou encore d'une femme d'expatrié, leur but est de « déculpabiliser et de faire circuler les savoirs sur l'argent. »
Il faut dire que les femmes reviennent de loin. En 1818, avec l'ouverture de la première Caisse d'Epargne à Paris, elles sont enfin autorisées à franchir les portes d'une banque et à ouvrir un livret d'épargne. L'accord de l'époux pour les femmes mariées reste cependant obligatoire jusqu'en 1881.
Ce n'est « qu'avec la loi du 13 juillet 1965 qu'elles obtiennent leur pleine autonomisation financière, puisqu'à partir de cette date, les femmes mariées peuvent ouvrir un compte bancaire et exercer une profession sans l'autorisation de leur mari », rappelle Sylvie Gautier, historienne et chercheuse. En 1967, elles obtiennent aussi le droit d'entrer physiquement dans la Bourse de Paris et de spéculer. De quoi amener les françaises, progressivement, à sécuriser leur argent, car pendant longtemps le seul moyen pour elles d'être autonomes financièrement fut le compte épargne.
« A cette époque, les femmes étaient considérées comme les gérantes de leur foyer. Elles n'existaient pas en tant que travailleuses indépendantes financièrement. Cela a laissé des traces dans l'inconscient collectif. Il ne suffit pas de leur dire aujourd'hui d'investir pour qu'elles le fassent. Les pratiques changent, mais lentement », ajoute Sylvie Gautier.
Aujourd'hui, si la question de l'indépendance économique ne concerne pas que les femmes, la société prend de plus en plus conscience de l'impact que cela peut avoir sur les violences qu'elles subissent.
Ne pas être indépendante financièrement empêche beaucoup de femmes d'échapper à un conjoint violent, par exemple. Les violences ne sont pas que physiques ou psychologiques, elles peuvent aussi être financières. S'éduquer sur le sujet revêt un véritable enjeu.
Anna Borrel
Des tentatives d'arnaques
Néanmoins, cette éducation financière en ligne a aussi son revers : les tentatives d'arnaque ne sont pas rares. « Souvent de faux comptes sur les réseaux sociaux se font passer pour moi en reprenant mon contenu. Ils contactent ensuite des membres de ma communauté en prétendant leur proposer des opportunités d'investissement sur de fausses plateformes pour leur soutirer de l'argent », relate Anna.
Cela arrive aussi régulièrement à Maeva qui rappelle qu'elle ne fait pas de conseil en investissement, car cela nécessite d'être certifié.
Il faut surtout éviter de copier-coller les stratégies vendues par les influenceurs, c'est trop risqué. Qui plus est, on ne connaît pas leur niveau de vie, s'ils peuvent compter sur un héritage pour investir, etc. Chaque situation est différente.
Maeva
La publicité relative à la fourniture de services d'actifs numériques ou de crypto actifs est interdite, « sauf dans des cas strictement limités. Ces offres ne sont pas destinées au grand public mais seulement aux professionnels qui sont conscients des risques associés à ces investissements », peut-on lire sur le site du ministère de l'Economie. L'Autorité des marchés financiers met d'ailleurs régulièrement à jour ses listes de sociétés et sites autorisés ou non en matière d'investissement.
Alors, plutôt que de la promotion, les influenceuses budget proposent des accompagnements personnalisés, autrement dit du coaching. C'est l'activité principale d'Anna avec La Petite Budgeteuse : « Mes clients ont souvent des problématiques d'ordre émotionnel, comme des histoires familiales qui les poursuivent. La façon dont nous dépensons notre argent dit beaucoup de nous », analyse-t-elle.
Si Maeva n'a pas d'activité de coaching avec Mon Budget Bento, elle anime régulièrement des ateliers ou des webinaires pour des entreprises ou des institutions. Du côté de Thune, pas d'activités de ce type : « Nous préférons donner à réfléchir plutôt que de prescrire », affirme Anna Borrel. Pour Sylvie Gautier, « Tous les canaux de circulation de l'information se complètent ».
La situation économique des femmes est toujours moins reluisante que celle des hommes. Celles qui résident en France touchaient en 2022 une pension de droit direct moyenne (comprenant l’éventuelle majoration pour trois enfants ou plus) inférieure de 38 % à celle des hommes. Et parmi les 1,9 million de familles monoparentales avec au moins un·e enfant mineur·e, 82 % ont une femme à leur tête. Sylvie Gautier conclut : « Il ne faut pas les faire culpabiliser, chaque femme connaît une réalité économique différente. L'égalité financière est un processus long et toujours en cours. »
Références :
- Instagram - Mon Budget Bento
- Instagram - La Petite Budgeteuse
- Thune Podcast
- Ifop - Baromètre "Les femmes et l'argent"
- Ministère de l'Economie - Attention aux investissements de trading en ligne
- AMF - Vérifier une autorisation
- DREES - Les retraités et les retraites (édition 2024)
- Ministère de l'Egalité - Publication de l’ouvrage Femmes et monoparentalité, le choix de l’emploi
[Photo de couverture : Joshua Rondeau]
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