"Ces 3 ans sans smartphone ont transformé mon rapport au numérique"
En France en 2024, combien de personnes seraient (volontairement) prêt·es à se passer d'un smartphone ? Maëlys, membre de la génération Z et digital native, a décidé de tenter ce qui ressemble aujourd'hui à une véritable aventure : se passer complètement d'un smartphone pendant 3 ans. Elle raconte comment cette expérience a modifié, lentement mais sûrement, son rapport au digital.
Deuxième année d'études supérieures. Une surveillante m'interpelle à la sortie du cours : "Le conducteur de bus a retrouvé ton smartphone. Tu as eu de la chance, il est tombé entre de bonnes mains". Ma réaction ? "Ah, d'accord. Merci, je ne m'étais même pas rendue compte qu'il avait disparu".
Si cette histoire fait toujours sourire mes anciens camarades, elle n'en est pas moins significative des rapports que j'entretenais alors avec mon smartphone... et qui se sont pas mal modifiés avec le temps. Si ça vous intrigue, suivez-moi : je vais vous raconter mon quotidien d'adulte avec et sans smartphone.
Comment j'ai décidé de me passer du smartphone
J'avais 19 ans lorsque ce fameux smartphone, perdu puis retrouvé, est arrivé entre mes mains. Je m'en servais beaucoup, pour un usage très récréatif : une utilisation assez commune pour quelqu'un de cet âge.
2h19 par jour
temps moyen passé sur les réseaux sociaux par les 15-24 ans en 2022
Source : Médiamétrie, février 2023.
Avec des études largement axées sur le travail en équipe, mon smartphone est devenu un outil de collaboration et de recherche durant mes heures de transport. Comme 13% des français·es, j'ai pris l'habitude de consulter mon smartphone plus de 50 fois par jour. Une habitude somme toute assez stressante.
Sachant que la captation de l'attention des smartphones repose en grande partie sur le FOMO (Fear Of Missing Out, que l'on peut traduire par "la peur de rater quelque chose"), j'angoissais à l'idée qu'une information capitale ne m'échappe. Avec le recul, tout ce que je loupais, c'était la story de Roger en train de manger ses frites.
Un beau jour, mon smartphone s'est volatilisé. Perdu ou volé ? Je ne l'ai jamais su. J'ai ressenti un manque, peut-être liée à une forme d'addiction. L'effet d'habituation à cet appareil était suffisamment fort pour que cela me gêne pendant 3 jours.
Puis un phénomène intéressant s'est produit : j'ai commencé à éprouver du soulagement à l'idée de ne plus être notifiée en permanence, à chaque nouvelle information. Un premier aperçu des effets positifs de la déconnexion. Une sensation suffisamment forte pour que je prenne la décision de me passer de smartphone - pour une durée illimitée.
Un quotidien (plus ou moins facile) sans smartphone
Un petit dumbphone en poche (littéralement "téléphone idiot", se limitant à quelques fonctions de base) et un MP3 : voilà de quoi faire mes trajets et mes randonnées en toute tranquillité. Autant de moments à moi, où je restais quand même joignable en cas d'urgence. Ce retour à des équipements électroniques moins sophistiqués m'a finalement permis de mettre ma vie d'étudiante et ma vie privé sur deux îlots distincts. J'ai retrouvé des moments d'ennui, pris de la distance vis-à-vis de mes problématiques, et stimulé mon imagination.
Pourtant, la peur de rater une information cruciale ne m'a pas quittée. Possédant un ordinateur portable, j'ai simplement transféré mon temps d'utilisation du smartphone vers cet autre appareil. Quand je démarrais une discussion avec quelqu'un, je retardais mon départ de trente minutes, un heure ou une heure et demie. De quoi intensifier une forme de sédentarité.
Autre difficulté, matérielle cette fois : la brève durée de vie de mon téléphone, qui n'a pas passé l'année. Difficile aujourd'hui de trouver des appareils basiques, donc peu chers, qui soient résistants. Le retour de Nokia en 2018, chouchou des parents réticents à offrir un smartphone à leur progéniture, n'a pas inversée cette tendance. D'un point de vue écologique, c'était un vrai crève-cœur de devoir racheter un téléphone tous les ans. Sans parler du risque de perdre mes contacts à chaque changement d'appareil.
Insertion professionnelle... et retour du smartphone
J'ai aussi fait ce constat : se passer d'un smartphone constitue un véritable handicap en termes d'insertion dans la vie professionnelle. Quand on passe un entretien, c'est si pratique d'accéder à Google Maps, de retrouver en quelques clics les coordonnées du responsable RH... et puis une fois dans l'entreprise, j'ai réalisé qu'une bonne partie de la vie d'équipe se faisait sur un réseau disponible uniquement sur smartphone. De quoi porter préjudice à mon intégration.
Pendant 6 mois, j'ai fait cohabiter un smartphone professionnel avec mon dumbphone à usage personnel. De quoi maintenir une frontière entre vie privée et quotidien professionnel. Puis, trois années après avoir fait une croix sur cet appareil, j'ai racheté un smartphone. Je me suis remise à l'utiliser pour des temps de loisirs, mais aussi pour consulter les réseaux sociaux professionnels. Et j'ai rapidement retrouvé des difficultés à me déconnecter.
Si je devais en faire un bilan, je dirais que cette expérience sans smartphone m'a donné l'occasion de me questionner sur mes usages du numérique. Désormais, voici quelques principes que j'essaie de suivre au quotidien :
Télécharger une application mesurant ma fréquence d'utilisation des écrans (type Quality Time) : un assistant qui m'aide à bloquer certaines applications lors de mon temps de travail, et me donne un aperçu de ma consommation quotidienne d'écrans.
Trouver des temps où le smartphone n'a pas sa place : j'éteins mon appareil quand je passe un moment avec des amis, ou que je pratique une activité collective.
Résister au dernier message, à la vidéo ou au podcast du soir pour m'endormir. Un conseil très compliqué à suivre quand vous êtes, comme moi, une personne vivant seule. Mon lien social vient littéralement de mon téléphone. Pour y pallier, une BD m'aide (en général) à m'endormir plus facilement.
Alterner entre un smartphone et un dumbphone (et surtout penser à mettre sa carte SIM dans ce dernier) : un bon moyen de faire des économies sur le forfait, et de conserver un moyen d'appeler (ou d'être contacté·e) en cas d'urgence. C'est aussi une manière de se déconnecter, de se concentrer sur l'essentiel... un vrai enjeu de bien-être aujourd'hui pour les salarié·es.
Références :
- Médiamétrie : L'Année Internet 2022
- Le monde : FOMO ou la « peur de rater quelque chose »
- Deloitte 2018 : Global mobile consumer trends
[Photo de couverture : Sumeet Singh]
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