Conkerax : des jeux vidéo disparaissent définitivement, et c'est problématique
Été 2024 : Microsoft décide de mettre fin à l'achat des jeux en ligne pour sa console phare, la Xbox 360. Entretien avec le Youtubeur Conkerax, qui décrypte les conséquences de la dématérialisation des titres dans l'industrie, et pour les joueurs·ses de jeu vidéo.
Conkerax, Youtuber de 33 ans, explore l’histoire, la préservation et tous les petits secrets des jeux vidéo dans ses documentaires sur la plateforme. La première information qu'il a tenu à rappeler ? Le jeu vidéo se trouve au cœur de notre société puisqu'en France, il s'agit du produit culturel n°1.
7 français·es sur 10 sont des joueurs·ses de jeu vidéo
soit 39,1 millions de personnes.
Source : Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs - Les français et le jeu vidéo (2023)
Plus les années passent, plus la variété est au rendez-vous, tant dans les genres (action, aventure, jeu de rôles, réflexion, gestion…) que dans le support (smartphone, tablette, ordinateur ou console). En parlant de console, vous avez connu la Xbox 360 ? Celle-ci se trouve actuellement au cœur d'une polémique qui n'a pas manqué de faire réagir la communauté des joueurs·ses en général, et Conkerax en particulier.
Arrêt du store de la XBox 360 : quelles motivations... et quelles conséquences ?
Lors de notre échange, le Youtubeur commence par rappeler qu'il s'agit de la console la plus vendue de l’histoire de Microsoft, ayant su se poser comme une concurrente sérieuse de la Playstation 3.
Plus de 85 millions d'exemplaires de la Xbox 360
ont été commercialisés à travers le monde (en 2016) depuis son lancement en 2005.
Source : VGChartz
Problème : depuis le 29 juillet 2024, impossible de télécharger les jeux Xbox 360 sur les nouvelles consoles de Microsoft. Seules les personnes ayant préalablement acheté les jeux sous forme de boîtier peuvent encore y accéder, grâce à la rétrocompatibilité mise en place par Microsoft.
Conkerax reconnaît que ce marché est resté ouvert pendant 20 ans, impliquant le maintien de serveurs pour une communauté de joueurs·ses s'amenuisant au fil des années. Selon lui, les coûts de maintenance constituent certainement la motivation principale de cet arrêt. Le fait que la plupart des éditeurs aient tourné la page et l’appauvrissement des fanbases en sont d'autres.
Le fait est que Microsoft semble avoir tenté de prévenir au mieux la fermeture, en bradant la plupart des jeux à des prix presque dérisoires ( des jeux à -90%, Tomb Raider à 1€). La société a aussi répondu aux nombreuses questions et problématiques soulevées par les joueurs·ses en apportant accès, réflexions et solutions.
Pour Conkerax, c’est donc une page qui se tourne et l’histoire de cette console le démontre : nous entrons dans une nouvelle ère du jeu vidéo, pour Microsoft comme pour les autres constructeurs. La stratégie de Microsoft semble à présent se porter sur le gamepass (un service que l'on pourrait comparer à un Netflix du jeu vidéo). Quelques jeux Xbox 360 y sont d’ailleurs disponibles. A l'avenir, Microsoft s'y réserve la possibilité de ré-éditer certains jeux, à la manière de Banjo-Kazooie.
Bien qu’il soit conscient des raisons qui ont poussé Microsoft à faire ce choix, Conkerax redoute que cette décision ne devienne synonyme d’une perte de tout un pan de la culture. Il craint que des œuvres ayant demandé un temps de création considérable soient définitivement rayées de la carte. Une réelle déception, autant pour les joueurs·ses que les développeurs·ses ayant travaillé dur pour proposer des jeux de qualité.
Quand on ferme ce genre de page, quelque part on ferme cette accessibilité. Maintenant c’est vrai qu’il y a toujours des moyens de se procurer ces jeux (et heureusement j’ai envie de dire), parce que ça permet qu'ils puissent vivent encore aujourd'hui. Or en ce moment on a des problématiques de jeux qui disparaissent des stores, et là ça devient très grave.
Conkerax
D'autre part, selon lui, les utilisateurs·rices devraient pouvoir bénéficier d'un accès maximal aux contenus qu'ils ont choisi d'acheter, en format physique ou dématérialisé.
- ❌ 0% publicité
- 🫀 100% du contenu écrit par un·e humain·e
- ✏️ Le dessin du mois réalisé par le dessinateur Théo Schulthess
- 💡 Le meilleur du numérique responsable
Disparition de jeux vidéos : un patrimoine menacé ?
Conkerax cite le cas de The Crew, un jeu Ubisoft (sorti en 2014) disponible au prix de 69,99€. Pas moins de 12 millions de joueurs·ses ont choisi de l'acheter. Celui-ci a pourtant été supprimé du jour au lendemain des bibliothèques, et les serveurs éteints. Le mode solo, une composante importante du titre qui se jouait en ligne, n'est plus accessible selon les utilisateurs·rices : de fait, ce jeu a donc disparu.
En réaction, le mouvement Stop Killing Games ("Arrêtez de tuer les jeux") a été lancé à l'initiative de Ross Scott, un Youtubeur américain. Une pétition intitulée Stop Destroying Videogames ("Arrêtez de détruire les jeux vidéo") a été mise en ligne par le collectif, afin de garantir aux joueurs·ses un accès aux jeux vidéos même si les serveurs ferment. Conkerax considère que cela constituerait une solution pour les jeux en fin de vie, permettant d'éviter qu’ils disparaissent.
Le Youtubeur souligne que ce problème ne concerne qu’une partie des jeux. La plupart du temps, les joueurs·ses auront toujours accès à la version solo des jeux, en local. Tandis que le mode multijoueur en ligne, lui, est menacé. Conkerax prend l'exemple de Fortnite, un jeu multijoueur de survie très prisé des jeunes générations : le cœur du jeu se trouvant en ligne, la décommission des serveurs signifierait sa destruction.
Finalement, la demande n’est pas que les éditeurs continuent d’alimenter et de payer les serveurs de façon indéfinie : ce ne serait ni réalisable, ni souhaitable. Mais bien de trouver une solution de fin de vie qui convienne à tous·tes. De laisser la possibilité aux joueurs·ses d'accéder au jeu, de manière légale.
En réaction, Conkerax a rejoint un collectif d’une dizaine de personnes constitué notamment de spécialistes en droit du numérique, et d’autres membres proches du mouvement "Stop Killing Games". Leur groupement vise à soulever d’autres problématiques, telles que les possibilités de recours... et l’intelligibilité des licences.
Est-on propriétaire d'un jeu que l'on achète ? La question de l'intelligibilité des licences
Je suis allé à la preview de TopSpin 2K25, le jeu de tennis. Et puis j’apprends ceci (je n’étais pas au courant de tout ça) dans les accords relatifs au titre : “Nous nous réservons le droit d’interrompre les serveurs en décembre 2026”. Donc tu as acheté ton jeu en 2024, et 2 ans après... sauf que toi tu signes, tu vas pas forcément lire jusqu’au bout ou regarder en détail [...]. Le but de la manœuvre serait de donner cette information aux joueur·ses, de la mettre en avant : “Vous achetez le jeu, ou plutôt vous le louez jusqu’en décembre 2026 (potentiellement). Voilà, vous êtes au courant."
Conkerax
Conkerax estime que pour instaurer davantage de transparence, un levier pertinent consisterait à clarifier et visibiliser cette dénomination d’achat/location. Dans le contexte actuel, parler d'achat semble trompeur puisque on ne devient pas propriétaire d'un jeu en l'acquérant pour y jouer, d’après la licence que l’on signe. Son collectif s’est notamment donné pour mission de tracer les contours de cet·te "achat/location" et de sensibiliser sur ces problématiques pour les jeux à venir. L'objectif : revenir avec des réponses d’ici fin septembre, en espérant toucher de plus hautes instances.
Le Youtubeur insiste enfin sur l’importance de sauvegarder les jeux vidéos, tout comme d'autres produits culturels. Car aujourd’hui des vidéos, des musiques (par exemple l'album QALF par Damso) et des films sombrent aussi dans les abysses. Dans le contexte actuel, la BNF (Bibliothèque Nationale de France) éprouve des difficultés dans la collecte et l’archivage des jeux vidéo à cause de leur dématérialisation.
Joueurs et joueuses, quels sont nos leviers ?
De l'aveu même de Conkerax, il y aura toujours des moyens pour se procurer des jeux, même décommissionnés. Toutefois, ceux-ci ne sont pas toujours légaux.
Du côté des serveurs, le constructeur a des accords avec chaque éditeur. De l’autre, certain·es joueurs·ses fournissent des serveurs privés, non accrédités. Pourquoi ne pas connecter joueurs·ses et éditeurs pour permettre cette accréditation ? Le Youtubeur reconnaît cependant que cette solution peut être complexe à mettre en place, et inadéquate pour certains jeux (pour lesquels réécrire le code est impensable). Conkerax reste toutefois convaincu de la force du collectif pour parvenir à trouver une résolution :
Je pars du principe que si des personnes ont dans leur cœur un jeu ou un service, elles sont prêtes à mettre un peu la main au portefeuille pour qu'il fonctionne. Pas forcément des sommes énormes, mais contribuer quand même.
Conkerax
Finalement, Conkerax insiste sur l'importance du patrimoine constitué par l'ensemble des jeux vidéos. Autant d’œuvres méritant d'être préservées, pour que les générations futures puissent les découvrir.
Préservons notre jeu vidéo ! C’est le produit culturel n°1 en France, ce n'est pas rien. Je pense que les nouveaux·elles joueurs·ses, les jeunes d'aujourd'hui ont le droit aussi de connaître [nos jeux] et [certain·es d’entre eux·elles] ont envie, sont curieux·ses de découvrir cette histoire du jeu vidéo. Faisons en sorte que tout cela ne sombre pas dans les méandres.
Conkerax
Références :
- YouTube - L'interview vidéo de Conkerax
- VGChartz - Ventes d'Xbox 360
- Stop Kiling Games - UE
- Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs - Les français et le jeu vidéo
- Lumni - Jeu vidéo, premier marché culturel français
- Banjo-Kazooie - Xbox 360
- Gamekult - The Crew : pourquoi la disparition du jeu d'Ubisoft n'est qu'un symptôme d'un mal plus profond
[Photo de couverture : Conkerax - Les e-novateurs]
Soutenez-nous en partageant l'article :