« David contre Goliath » : une commission d’enquête parlementaire s’attaque aux effets de TikTok sur les mineurs

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Valentin ChomienneValentin Chomienne

7 min

« David contre Goliath » : une commission d’enquête parlementaire s’attaque aux effets de TikTok sur les mineurs

Laure Miller a commencé, en ce début avril 2025, son travail de rapporteure de la commission d’enquête parlementaire consacrée aux effets de TikTok sur les mineur·es. Elle espère trouver des leviers pour contrer son « algorithme assez différent, très enfermant ».

Interview

Laure Miller

Rapporteure de la commission d'enquête parlementaire sur les effets de TikTok sur les mineurs

Une trentaine de député·es français·es ont commencé, jeudi 3 avril 2025, à auditionner des professionnel·les au sujet des effets psychologiques de TikTok sur les mineur·es, dans le cadre d’une commission d’enquête parlementaire. Celle-ci, présidée par Arthur Delaporte (Socialistes et apparentés), travaillera d’ici à courant juin. Sa rapporteure, Laure Miller (Ensemble pour la République), a répondu aux questions des e-novateurs afin d’expliquer les tenants et aboutissants de ce dossier.

À titre individuel, comment utilisez-vous TikTok ?

Je me suis créé un compte précisément pour pouvoir voir de mettre propres yeux le fonctionnement de ce réseau. J’ai essayé de me faire passer pour quelqu’un de même pas 13 ans, avec une date de naissance un peu bidon et une photo d’enfant libre de droit. Mon compte n’a pas été bloqué par la régulation d’âge et je me suis retrouvé sur la plateforme en trente secondes ! Par ailleurs, je m’en sers pour voir les TikTokers dont parlent les élèves que je rencontre. Mon usage reste très modéré.

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Et dans votre entourage, quelle place prend-il ?

Mes enfants sont âgés de 5 et 7 ans et n’utilisent donc pas ce réseau. Mais, je vois la vague arriver. Dans mon entourage, des neveux et nièces s’en servent. Toutefois, nous, parents, ne sommes pas tous égaux face à ça. Je vois le gouffre entre certains vis-à-vis du contrôle parental. Les enfants que j’ai directement sous les yeux ont l’air d’en avoir une consommation très raisonnable mais certains élèves de ma circonscription me disent passer des heures sur TikTok et avoir du mal à en sortir.

Pourquoi enquêtez-vous sur les effets de TikTok sur les mineurs ?

De plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer l’impact de ce réseau. Par conséquent, il nous semblait indispensable de poser un diagnostic incontestable sur ce sujet de santé mentale. Une fois ce premier objectif rempli, nous, législateurs, examinerons toutes les solutions techniques et juridiques, comme la régulation de cette plateforme, possiblement son interdiction jusqu’à un certain âge, sa responsabilisation comme hébergeur, etc. Nous adresserons ensuite nos recommandations.

Pour quelle raison avez-vous décidé d’étudier seulement le cas de TikTok et pas ceux des autres réseaux ?

Car c’est le plus utilisé par les mineurs aujourd’hui en France. Et c’est aussi celui aux effets les plus néfastes. TikTok a un algorithme assez différent, très enfermant. Il nous semblait donc pertinent de se focaliser sur lui, en se disant que c’est le pire. Nous gardons tout de même en tête le fait que nos préconisations pourraient possiblement convenir à d’autres réseaux à l'avenir.

Vous présentez TikTok comme la plateforme la plus utilisée par les mineurs. À combien estimez-vous ce nombre d’utilisateurs, parmi la vingtaine de millions de français·es qui s’en servent tous les mois ?

C’est très difficile à quantifier. Les sondeurs disent que c’est sur cette application que les jeunes passent le plus de temps. Mais nous n’avons aucune idée de ce nombre. TikTok ne nous donne pas cette donnée.

L’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) nous explique, par exemple, que près d’un jeune sur deux de 11 ans utilise ce réseau, pourtant interdit aux moins de 13 ans.

Laure Miller

Quels effets identifiez-vous comme « les plus néfastes » ?

L’algorithme de TikTok est fait de telle manière que, si un enfant se retrouve face à un contenu choquant, et qu’il reste plus longtemps à la regarder, il va lui montrer davantage de publications similaires. Le jeune va se retrouver bloqué là-dedans sans l’avoir voulu. Je pense à des filles qui ne se sentaient pas très bien, et qui se sont retrouvées enfermées dans des vidéos sur la scarification, le suicide, etc. L’algorithme a parfois poussé au pire des utilisateurs mineurs.

Racontez-nous cette première journée d’audition…

Nous avons commencé par interroger Médiamétrie (spécialiste des études médias) et, lors d’une table-ronde, des sociologues. Notre objectif, comme je l’ai dit précédemment, est d’abord de poser un diagnostic. Nous devons commencer par savoir de quoi on parle, quelles sont les pratiques des jeunes, la part des réseaux dans leur utilisation du téléphone, etc. Nous avons pu étudier cela avec les sociologues notamment. La CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) était aussi représentée.

Comment se présente la suite des auditions ?

Elles vont se poursuivre avec des neurologues, psychiatres, etc., afin de saisir les approches scientifiques de chacun sur la santé mentale. Des professionnels des réseaux et algorithmes viendront aussi apporter leur expertise sur ce réseau social. Des TikTokers également seront invités à s’exprimer. Certains pourront parler de leur engagement contre le harcèlement des jeunes.

TikTok aussi sera convié, évidemment. On espère pouvoir confronter ses responsables à ce qu’on aura entendu.

Laure Miller

Et ensuite ?

En juin, les auditions s’arrêteront. Comme rapporteure, je rédigerai des recommandations. Mon rapport devra être soumis à l'approbation de la commission. Il est difficile de savoir ce qu’il se passera après. Si nous avons trouvé un levier juridique, comme par exemple de changer la qualification de l’hébergeur [en éditeur, NDLR], l’objectif sera de déposer une proposition de loi. En revanche, si on se dirige plutôt vers du réglementaire [du ressort de l’Europe], nous devrons mener un travail de lobbying - dans le bon sens du terme - auprès de l’Union Européenne.

Pour finir, pourquoi ne pas s’intéresser aux effets de ce réseau sur les majeurs ?

Il faut choisir ses combats. Si une commission d’enquête s’assigne un champ de recherche trop large, il en ressort une liste de courses et ça ne se concrétise pas en action. TikTok produit aussi des effets sur la psychologie des majeurs, je ne nie pas ce problème général, mais il est important de pouvoir cibler notre travail sur nos enfants, qui sont les plus vulnérables d’entre nous.

Des député·es français·es face au mastodonte TikTok… cela ressemble tout de même à un combat déséquilibré.

En effet, nous avons l’impression d’être dans la position de David contre Goliath. TikTok semble surpuissant, il l’est financièrement, on ne peut pas le nier. Mais nous devons faire preuve de radicalité sur ce sujet. Nos citoyens attendent de nous que nous ne soyons pas fatalistes. Je ne suis pas impressionnée par la force et la puissance des plateformes. Je me sens assez optimiste pour trouver des leviers afin de protéger les plus jeunes.

Références :

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