Eco-conception web : “Les bons deviennent meilleurs, les mauvais empirent”

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Jérémy PASTOURETJérémy PASTOURET

9 min

Eco-conception web : “Les bons deviennent meilleurs, les mauvais empirent”

Webvert promettait jusqu’à 80 % de réduction de bande passante sans refonte complète d'un site Web. Mais la startup n’a pas résisté au ralentissement économique et à la fascination des entreprises pour l’intelligence artificielle. Youen Chéné, son co-fondateur, livre son retour d’expérience sur le secteur du numérique responsable.

Youen Chéné, co-fondateur de WebVert

Interview

Youen Chéné

Entrepreneur, cofondateur, Directeur Technique/CTO

Je suis un enfant du plan Informatique pour tous des années 80. J'ai été développeur, engineering manager, gérant d'entreprise et CTO (Chief Technical Officer), le rôle que j'exerce maintenant.
Communautés: Je contribue principalement à Boavizta, une association interprofessionnelle destinée à créer un bien commun pour mieux évaluer l'impact du numérique.
Réalisations principales: J'ai été bénévole de Tech Rocks, la communauté des CTO & Tech Leaders, et initiateur/bénévole de Codeurs en Seine (rencontre de codeurs·ses en Normandie).

Peux-tu présenter l'activité de Webvert ?

L'ancienne activité de Webvert. Nous sommes en train de fermer la société 😥. Webvert était dans l'action. Nos client·es payaient pour réduire l'empreinte de leur site Web tout en gardant le même rendu. Nous optimisions entre 20% et 81% de bande passante en quelques jours de délai. Pas besoin de se lancer dans un grand projet, une refonte.

Pour celles·eux qui souhaitaient le faire, nous avons sorti en 2024 un SaaS de mesure d'empreinte de site Web de contenu. Il permet de fournir les actions précises à faire, de manière priorisée par impact. Notre secret, c'était la data. C'est ce qui nous permettait de cibler nos travaux d'optimisation d'un site Web.

Quelles ont été les étapes-clés de Webvert ?

En comptant un freelance récurrent et une alternante, nous sommes monté·es à 5 personnes dans l'équipe.

Nos victoires ont été les premiers sites avec de grosses optimisations (+ de 50%) : je pense notamment à Octo, la Métropole de Rouen et la Suisse Romande. Travailler avec Orange pour ses sites internationaux, suite à notre sélection dans son programme startup, fait aussi partie des étapes importantes.

Enfin, dernièrement, nous avons été chercher 1 seconde de temps de chargement sur un site e-commerce, avec les mêmes techniques. Ce qui a permis à ce client d'accroître ses visites organiques, et de mieux maitriser ses dépenses en publicité.

Pourquoi l’aventure s’est-elle arrêtée ?

Nos clients étaient des équipes marketing, les premières touchées par des baisses budgétaires quand l'économie se tend. Certaines ont vu leur budget divisé par 2.

Nous avions commencé a nous focaliser sur les grands comptes et le public, et à réaliser des premières ventes. Mais pas assez pour compenser la baisse globale, et gérer les temps de ventes longs : "On est super contents, on a eu un accord budgétaire pour... 2026". Finalement, quand on ne peut plus payer les salaires ni les indemnités des gérants, il n'y a plus d'autre choix que de s'arrêter.

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L'éco-conception d'un site Web est-elle toujours un sujet aujourd'hui ?

Nous avons analysé encore pas mal de sites Web jusqu'au début de l'année, et trois tendances se dégageaient :

  • 2-10% de sites vraiment bien optimisés - un volume qui s'est agrandi depuis 2021. C'est une bonne nouvelle, mais cela reste marginal.
  • 20% de "mauvais", qui le sont devenus encore plus (on suppose que l'utilisation de l'IA n'as pas aidé).
  • Et entre les deux, un ventre mou de sites qui se disent éco-conçus car leur agence leur ont vendu le concept... mais quand on passe à l'analyse, la réalité est plus mesurée.

En résumé, les bon élèves sont encore meilleurs et les mauvais encore plus mauvais. La moyenne n'a pas vraiment augmenté.

Le grand nombre de ressources en ligne gratuites sur le numérique responsable (RGESN...) dissuade-t-il les entreprises de se tourner vers une société spécialisée ?

Les outils gratuits permettent de cibler une seule page et ont peu évolué depuis quelques années.

Les référentiels de type RGESN (Référentiel général d'écoconception des services numériques) sont plutôt orientés maturité d'une organisation, pas évaluation d'un produit. Coté site Web de contenu, on va les retrouver surtout côté service public. Par contre, cela ne remplace pas la main d’œuvre pour faire le travail de fourmi.

Après, j'ai vu aussi pas mal d'entreprises amener du consulting green IT pour sensibiliser et préparer le terrain. Ce qui ne remplace toujours pas la main d’œuvre pour faire ensuite un travail de fourmi.

Il est urgent de réduire l'impact du numérique. Mais bien que de nombreuses structures se consacrent au sujet, peu semblent parvenir à en vivre. Comment l'expliquer ?

C'est la faute de l'IA ! Au delà de la blague, cette technologie a redirigé les investissements soit sur des sujets à rentabilité directe, suite aux tensions économiques, soit vers des sujets IA pour être dans le vent (même si souvent, la justification est faible).

Suites aux votes mondiaux de 2024, il y a eu aussi pas de reculs sur les lois écologiques, notamment en France. Cela a aussi provoqué la disparition du groupe de travail Sustainability chez Wordpress (avec une méthode à la Elon Musk).

Enfin, il y a un autre problème (du moins en France) : les développeurs·ses n'ont pas accroché au green IT. Pourquoi ?

  • Les référentiels publiés ont été réalisés sans grandes compétences techniques. Ils sont donc hors-sol et inadaptés pour les équipes produit et développement chez les DSI et les éditeurs. Je pense au RGESN comme au Référentiel d'écoconception Web de l'association Green IT.
  • Sur la partie logicielle, les papiers de recherche sont encore en faible nombre, avec un manque de de participation de personnes ayant créé des services numériques - donc peu actionnables pour les développeurs·ses. Je pense aux différents papiers sur les langages de programmation.

C'est pour cela que j'ai rejoint Boavizta, pour aider celles·eux qui conçoivent des services numériques à adopter une approche plus scientifique, et disposer d'une base de méthodologie et d'outils parlants.

Quelle est ta vision de l'avenir pour le numérique responsable, à l'heure où l'IA est dans tous les esprits ?

C'est justement parce qu'il y a l'IA que nous avons encore plus besoin de numérique responsable. En effet, l'IA permet de produire du logiciel de plus en plus vite, avec du code généré de moyenne qualité donc peu performant, utilisant encore plus d'espace sur le cloud. Si les "ancien·nes" développeurs·ses auront à cœur de relire et d'optimiser, les plus jeunes n'auront pas forcément d'idée de ce qu'est un code lisible et rapide en exécution. Le "vibe coding" (le fait de coder avec l'IA) peut faire beaucoup de mal. C'est pour cela que je contribue à des initiatives inter-associations, qui permettent de proposer des référentiels et des pratiques avec des fondations plus solides. A suivre :

  • Le projet eRoom (Moore à l'envers) : pour faire en sorte que votre logiciel consomme 2x moins de ressources tous les 2 ans. Suivez Tristan Nitot sur le Web, en attendant le site officiel.

  • Le consortium RGESN : un groupe d'associations, en accord avec l'Arcep, qui propose d'améliorer ce référentiel (avec des spécialistes de chaque partie : architecture, infra, UX, front, web...). Un site web sera bientôt disponible. En attendant, passez par le Mattermost des Designers éthiques.

  • Un projet Boavizta intitulé e-footprint : comment évaluer les potentiels impact de son service numérique, en fonction des choix d'architectures et de fonctionnalités.

Qu'envisages-tu pour la suite, et comment peut-on continuer à suivre tes actions ?

De mon coté, je suis déjà sur un autre projet avec (beaucoup de) suivi carbone. Et dans certaines parties, coté numérique responsable, on est en avance. Exemple : la gestion des mix électriques. Dans le numérique responsable, je continue mon rôle d'administrateur à Boavizta.

Le week-end, je code du C pour créer des jeux sur Amiga. Cela permet d'apprendre l'humilité et la sobriété à vive allure. Un octet est un octet à sauver, un cycle CPU est un cycle CPU à sauver.

Pour me suivre : j'ai arrêté la plupart des réseau sociaux (c'était tellement bien, les Twitter parties en... 2009). J'ai gardé LinkedIn et suis présent sur les mattermost de Boavizta, Designers éthiques ou Techologie (ainsi que dans divers Discords obscurs de programmation sur des machines rétro). Et peut être un jour, un nouveau post sur mon blog...

Un mot de la fin ?

  • Si vous êtes dans le numérique et que vous développez : améliorez les performances de votre application en baissant votre facture de cloud.
  • Si vous êtes product manager et que votre CEO vous dit : "je veux de l'IA", répondez-lui : "OK, mais pour améliorer quoi pour l'utilisateur·rice ?"
  • Sinon, utilisez votre cerveau avant de demander des trucs simples à votre LLM favori (de préférence Mistral).
  • Enfin, gardez la foi : c'est la somme des petites actions qui fera les grandes rivières !

Références :

[Photo de couverture : Shannon Potter]

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