Fabrice Erre : "Passer l'IA à la moulinette du comique me paraît indispensable."
Dessinateur et professeur d'histoire-géographie, Fabrice Erre dissèque avec humour nos travers numériques dans sa trilogie en bande dessinée Réseau-Boulot-Dodo.

Interview
Fabrice Erre
Enseignant en histoire-géographie et auteur de bande dessinée
Qu'est-ce qui vous a donné l'idée d'écrire une, puis plusieurs BD humoristiques sur le numérique ? On voit beaucoup d'essais ou de romans sur ce sujet, mais rarement des ouvrages comme le vôtre...
La question numérique occupe beaucoup de place dans notre modernité (c'est peu dire) donc il est assez naturel de la mettre en scène. J'apprécie le ressort humoristique qui naît de la confrontation entre des réflexes archaïques de ma génération, née avant le numérique, et ces nouveaux outils aux possibilités extraordinaires... mais souvent utilisées n'importe comment pour n'importe quoi (comme la plupart des technologies extraordinaires).






Le tome 3 de votre série "Réseau-Boulot-Dodo" a été publié au printemps : l'IA y tient une place prépondérante. Qu'est-ce qui vous a donné envie d'en parler ?
La révolution que représente l'IA est tellement énorme que de la passer au plus tôt à la moulinette du comique me paraît indispensable. Il y a beaucoup d'incertitude autour de ce dont elle est capable, ce qui génère de l'angoisse. Je préfère passer par l'absurde...
- ❌ 0% publicité
- 🫀 100% du contenu écrit par un·e humain·e
- ✏️ Le dessin du mois réalisé par le dessinateur Théo Schulthess
- 💡 Le meilleur du numérique responsable
Vous abordez aussi des thématiques variées, toujours avec le prisme du numérique : les liens intergénérationnels, l'homme augmenté, la dépendance à la technologie... d'où tirez vous votre inspiration ?
Il s’agit d’abord de s’observer soi-même, repérer les failles qu’une situation met à jour, nos faiblesses, nos contradictions, nos qualités d’adaptation incongrues et bricolées aussi ! J’aime beaucoup mettre en scène l’incommunicabilité des gens entre eux, mais aussi avec eux-mêmes, et c’est encore plus fort avec la question des ces technologies de communication qui viennent ajouter de la vitesse, de la démultiplication… il y a quelque chose de vertigineux que le dessin permet de fixer un peu pour y réfléchir, mettre à distance.
En refermant votre bande dessinée, on repart avec l'impression que le numérique ne nous fait pas franchement du bien. Percevez-vous une forme d'abrutissement liée aux nouvelles technologies ?
Oh oui bien entendu, mais l’abrutissement est un vieux concept qui n’a pas attendu ces nouvelles technologies, il marchait très bien avec les anciennes. On parlait beaucoup de l’abrutissement devant la TV quand j’étais petit, et devant les BD encore avant ! Il ne faut pas compter sur les technologies pour nous désabrutir à mon avis…
Y a-t-il tout de même du positif dans tout ça ?
Énormément : on peut commander des trucs et les recevoir presque immédiatement. C’est pas que ça change la vie, mais ça a un côté génie de la lampe qui accomplit nos vœux (contre un numéro de carte bleue néanmoins). Et plein d’autres choses, mais on rigole moins sur le positif, ce n’est pas propice.






Quel est votre regard sur la place du numérique dans le monde aujourd'hui, et sur l'usage qu'en font nos dirigeant·es ?
Nos dirigeants ont vite compris le parti à tirer de tels outils de masse, et beaucoup sont précisément devenus dirigeants grâces à eux (les « seigneurs de la Tech », des présidents aux cheveux jaunes…). Il y a évidemment d’énormes enjeux de pouvoir autour du numérique, comme il y en a eu autour de l’imprimerie, de la presse en leurs temps. Aucune technologie n’est neutre, apolitique, « naturelle » : il faut rester vigilant, autant que possible, sauf qu’on n’y comprend pas grand-chose souvent. Heureusement des sites comme Les e-novateurs nous éclairent.
Vous avez longtemps exercé comme professeur d'histoire-géographie au lycée : quel est votre point de vue sur le numérique en général, et l'IA en particulier, dans les salles de classe ?
L’enseignement doit intégrer le monde tel qu’il évolue, mais pas au même rythme, je dirais. Il doit un peu « digérer » les choses pour ne pas sombrer dans l’effet de mode et la frénésie, mais il ne doit pas non plus se déconnecter. Ce qui est intéressant, c’est de maintenir le rapport humain qui existe dans l’enseignement, et à partir de ce lien on peut tout aborder : il ne faut pas le passer au second plan.
Estimez-vous qu'une formation au numérique est nécessaire, pour les élèves et les enseignant·es ?
Oui, surtout pour les enseignants, qui sont souvent en tant qu’adultes en retard d’un train sur les pratiques des jeunes générations. Mais qui fera ces formations ? Ce serait drôle que les jeunes nous expliquent périodiquement comment ils s’informent, communiquent, créent du lien social, du rapport de force…












En quoi la bande dessinée peut-elle éveiller les consciences sur les problématiques liées au numérique ?
Par un moyen bien simple : quand on lit une bande dessinée papier, on n’est pas sur un écran, et du coup on revient à une autre temporalité, d’autres sensations : c’est le meilleur moyen de mettre à distance le vortex dans lequel le numérique nous plonge très vite chaque fois qu’on y touche. Il s’agit donc plus d’une question de pratique que de fond, sans doute.
Y a-t-il des outils ou services numériques dont vous ne pouvez plus vous passer, à titre personnel ou professionnel ?
Oh là là oui bien sûr : ordinateurs, applications, téléphone portable, scanner, palette graphique, recherche images, GPS pour trouver les lieux de festival… je ne sais pas comment aller vers davantage de sobriété, par quelle méthode progressive ? Croyez-vous qu’on puisse trouver un tuto sur YouTube ?
Un message à faire passer aux lecteurs·rices ?
Terminez de lire les articles des e-novateurs et allez courir dans l’herbe folle, sans écouter de musique sur votre portable ni compter les pas que vous ferez.
Références :
[Photo de couverture : Fabrice Erre - Fluide Glacial]
Soutenez-nous en partageant l'article :