Plein gaz vers la 6G, tandis que la rupture annoncée avec la 5G n'a pas eu lieu
Alors que l'arrivée tant décriée de la 5G n'a finalement pas transformé les usages des français•es, le déploiement de la 6G est déjà sur les rails. Avec quelles conséquences économiques et environnementales ? Entretien avec Maxime Echene, responsable RSE France chez Orange Business.

Interview
Maxime Echene
Responsable RSE - Orange Business (zone France)
Quels sont les principaux retours des français·es concernant leurs usages des réseaux 4G/5G, relevés lors de votre enquête ?
Notre enquête, menée avec mon camarade Alexis Nicolas, ne fait ressortir aucune rupture majeure d’avec les usages en 4G. Nous avons à la fois fait un état de l'art des études sur les usages et réalisé une enquête pragmatique auprès du grand public et d'experts avec 66 entretiens qualitatifs et 135 réponses quantitatives.
Il s’agit toujours principalement de communiquer avec ses amis et sa famille via des applications de messagerie et parfois en vidéo. Il s’agit aussi de se divertir en lisant les nouvelles, écoutant de la musique, regardant des vidéos ou les réseaux sociaux. Enfin, l'accès à Internet via son téléphone mobile est toujours et de plus en plus un outil clé pour les démarches administratives ou la recherche d’emploi, ce qui pose problème pour encore environ 15% de la population.
Citoyens et experts souhaitent avant tout que les réseaux mobiles deviennent une commodité stable, plutôt qu’une technologie en perpétuelle évolution.
Maxime Echene
Si les français·es n’ont pas vraiment de nouveaux usages, pourquoi se retrouve-t-on avec de nouvelles antennes ?
C'est bien entendu un ensemble de facteurs qui explique cela et que nous détaillons dans notre publication. Il faut appréhender que l'évolution des réseaux mobiles suit des cycles de 10 ans qui participent à l'absence de l'implication citoyenne dans ce processus. Il s'agit en général de groupes de travail experts et technophiles, proposant des cas d'usages qui ne relèvent pas d'une écoute des besoins.
Il y a deux points clés : le besoin de l'écosystème (équipementiers, Etats, opérateurs) de renouveler le matériel en l'optimisant et en créant de nouveaux usages potentiels. Par ailleurs, ces développements sont décidés dans un cadre européen et international très favorables à la compétition sur les normes et les usages envisagés (à l'instar de la surveillance de masse déjà opérée en Chine ou via la NSA [National Security Agency] aux Etats-Unis par exemple). Des milliards sont dépensés afin de participer à cette compétition, qui implique que ces nouvelles technologies soient déployées et "acceptées" in fine. J’illustre souvent ce point par l'image de l’autoroute : une fois créée, il faut que des voitures circulent et payent le péage.
Pendant le déploiement de la 5G, qui a été encore plus fortement controversé que les générations précédentes, l’intégration de la technologie 5G dans des récits complotistes a augmenté. Nous posons l’hypothèse que ce sont des signaux faibles vers une augmentation des contestations de ce que l’un des experts de notre panel nomme le techno push : "Dans l'écosystème Télécom, on imagine pour eux, parce qu'aujourd'hui faut pas se leurrer, 100% des cas d'usage ou des idées de service qui sont sur la table pour la 6G, ils viennent d'ingénieurs Télécom, ils ne viennent pas d'usagers."
Comment Orange se positionne-t-il face à l’arrivée de la 6G ?
Orange propose, dans son White Paper Mobile Network Technology Evolutions Beyond 2030 (Livre blanc l'évolution des réseaux mobiles au delà de 2030) publié en 2024, de dépasser les montées de générations pour préférer des mises à jour progressives sans changement de génération. En voici un extrait : "Le paradigme générationnel est utilisé depuis le déploiement des technologies 2G et est devenu la manière traditionnelle de qualifier commercialement les évolutions technologiques majeures des réseaux mobiles. Cependant, nous pensons qu’il est temps de revoir ce paradigme. En effet, la terminologie du G véhicule plusieurs associations qui ne sont plus vraies et qui sont désormais des idées fausses."
Orange propose également la création d’un "dialogue sociétal suffisant" au sein du processus de spécification de la 6G : "La phase de spécification (Work Item in 3GPP) devrait avoir lieu à partir de mi-2026 pour la 6G, ce qui pourrait être compatible avec le calendrier nécessaire pour mener des dialogues sociétaux suffisants." Reste à voir quelle sera l'ambition de ces dialogues, bien évidemment.
L’ajout de nouvelles antennes est-il un business réellement rentable pour les opérateurs ?
Comme le précédent PDG d'Orange Stéphane Richard l'affirmait dès 2018 : "Sur la 4G, on a investi en pensant pouvoir rentabiliser mais personne y est arrivé. Et pour cause : Xavier Niel l’a proposé à ses clients au même prix que la 3G". Ce mécanisme se reproduit pleinement pour la 5G avec des forfaits qui sont au plus bas, en moyenne à 10,51 € par mois en juillet 2025 versus 17,01 € en juillet 2023.
Selon les experts, si les bénéfices de la 5G ne sont pas là, c’est que la 5G n’est pas complètement déployée (la "vraie" 5G dite "Stand Alone" commence seulement à être déployée et la bande de fréquence dite de 26 GHz fera l'objet d'une enchère à venir en France).
Autrement dit, quand les bénéfices ne sont pas là, c’est qu’ils sont encore à venir. Ce qui justifie de continuer le déploiement des prochaines générations et donc entraîne une fuite en avant tel que décrite par un expert : "Si demain on avait un iPhone de l'IoT [Internet of things - Internet des objets, ndlr], peut-être qu’à ce moment-là on dirait la 5G c'est super important parce que ça a permis de connecter plus de devices. Mais voilà, pour moi, ce décalage là vient principalement parce qu'on n’a pas trouvé le cas d'usage ou le device qui justifie pleinement l’utilisation des capacités de la 5G, qui encore une fois, ne sont pas toutes là."
Avez-vous des informations concernant nos voisins européens sur le déploiement de nouvelles antennes ?
Oui, on peut trouver ces informations détaillées notamment sur le site de la Commission européenne via "l'observatoire de la 5G" : "Le déploiement et l’expansion des réseaux 5G de base dans l’ensemble de l’UE ont augmenté, la couverture 5G augmentant dans tous les États membres." Par ailleurs, et même si ce n'était pas un point focal lors de notre enquête, nous avons trouvé des controverses aussi dans la plupart des pays européens, comme en Allemagne ou le gouvernement a monté une plateforme afin de susciter le dialogue.
A ce stade l’implication citoyenne se limite à une consultation d’acceptabilité (à l’instar des projets européens sur la 6G comme Hexa-X-II et 6Gforsociety) dans lesquels le citoyen est souvent perçu comme manquant de connaissances sur ces technologies.
Maxime Echene
En tant que citoyen•nes, quelles actions pouvons-nous mener - sachant que la vague de mobilisation contre la 5G n’a pas suffi ?
Une différence importante par rapport aux précédentes mobilisation, c'est l'accumulation d'expériences et de controverses sur ce sujet. Au point que l'ancien président de l'Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse) Sébastien Soriano déclarait en 2020 : "Il y a désormais une forme de lassitude des français à l'égard des progrès technologiques, qui ne sont plus nécessairement vus comme positifs par défaut. Nous en étions conscients au travers des travaux menés sur la régulation des géants numériques (Google, Apple, Facebook, etc.) mais nous ne nous attendions pas à voir la 5G devenir un totem de ce scepticisme. Personne n’a su l’anticiper, ni l'Etat, ni les collectivités locales, ni les opérateurs, ni d’ailleurs la société civile."
Par ailleurs, la fenêtre de contestation actuelle nous semble correspondre aux temps des spécifications et non des déploiements, contrairement aux précédentes actions. Donc cela est nettement plus favorable à des résultats.
Nous pensons qu'une démocratie d'interpellation sous toutes ses formes, à l'instar de la mobilisation contre la loi Duplomb, est pertinente. Tout le monde pourra avantageusement investir la consultation officielle ou s'investir dans l'un des nombreux collectifs en lutte en adéquation avec ses aspirations.
Nous plaidons pour notre part pour une redirection écologique avec plusieurs propositions de design, dont celle de construire un espace de dialogue public sur les questions du numérique, sur le modèle des forums hybrides - et en s’inspirant du conseil citoyen de la métropole de Rennes, où la ville a engagé une démarche participative intéressante à l’occasion du déploiement de la 5G.
Un mot de la fin ?
Au delà des réseaux mobiles nous retrouvons, dans la vague en cours sur l’IA générative ou dans les projets de satellites à basse orbite tels Starlink, une logique de citadelle. En vue d'essayer de se défendre, de gérer ses ressources et son activité socio-économique, avec une attitude défensive par rapport aux agressions extérieures, celle-ci dégrade encore plus à la fois les conditions de l’habitabilité de notre milieu mais aussi les capacités cognitives des citoyens à se saisir de ces enjeux.
Ainsi, si la place des citoyens dans l’avenir des réseaux mobiles nécessite la conception d’espaces de dialogue, et surtout une anticipation démocratique et une prise en compte des attentes des citoyens, il nous semble que cette problématique se pose plus largement dans l’usage du numérique dans son ensemble.
Références :
- HAL - Futur des réseaux mobiles, quelle place pour les citoyens ? Maxime Echene, Alexis Nicolas
- Orange - Livre blanc : des technologies mobiles pour 2030 et au-delà conçues pour contribuer à la durabilité de la société
- Univers Freebox - Le patron d’Orange tacle Xavier Niel sur la rentabilité de la 4G et revient sur l’itinérance, un choix cornélien
- Ariase - Baromètre des prix des box internet et des forfaits mobile
- European Commission - 5G Observatory report 2025
- Courrier International - 5G : l’Allemagne entame un "dialogue citoyen" avec les sceptiques
- Odile Jacob - Un avenir pour le service public : un nouvel État face à la vague écologique, numérique, démocratique - Sébastien Soriano
- Rennes Ville et Métropole - Conseil citoyen du numérique responsable
- CAIRN - Agir dans un monde incertain : essai sur la démocratie technique
- CAIRN - Les organisations sentinelles : penser le devenir stratégique des organisations dans l’Anthropocène
[Photo de couverture : James Yarema]
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