TikTok : une jeunesse sous influence

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Solveig TIBYSolveig TIBY

4 min

TikTok : une jeunesse sous influence

Depuis quelques mois, l'impact de TikTok sur le cerveau des enfants et des adolescent·es interroge : ce n'est pas un hasard si la Commission Européenne a lancé, début 2024, une enquête à l'encontre de la plateforme. Zoom sur les techniques utilisées par le réseau social chinois pour capter et retenir ses utilisateurs·rices.

Des vidéos qui captivent les utilisateurs·rices

Le cerveau humain est programmé pour se concentrer automatiquement sur les mouvements, le son et la lumière présents dans notre environnement. Un mécanisme nommé « attention réflexe ».

Celui-ci intervient par exemple lorsqu'on entend un bruit fort qui nous fait sursauter, comme un klaxon ou une sonnerie de téléphone. Il est également responsable des difficultés que l’on rencontre pour éviter de regarder un écran allumé (par exemple une télévision installée en salle d’attente). TikTok utilise précisément l’attention réflexe pour captiver ses utilisateurs·rices, notamment avec les vidéos de danse.

capture d'écran de Tiktok avec un exemple de danse

Chez l’adulte, il est plus simple de contrôler l’attention réflexe : nous ne sursautons pas à chaque fois que la sonnerie de notre téléphone retentit. En revanche, maîtriser ce réflexe est bien plus compliqué pour un·e enfant. Une exposition aux écrans, et notamment à TikTok qui se sert de ce réflexe pour rendre ses utilisateurs·rices addict, stimule fortement le réflexe d’attention de l’enfant.

Swipez pour obtenir votre dose…

L’utilisation de TikTok procure à notre cerveau des doses de dopamine. En temps normal, cette hormone est sécrétée en récompense lorsque nous accomplissons une tâche qui demande un effort (ménage, vaisselle, travail, sport…). Ce neurotransmetteur voyage de neurones en neurones et provoque une sensation de plaisir.

Or TikTok apporte au cerveau ce qu’il apprécie le plus : une récompense sans qu'aucun effort ne soit fourni. A terme, ces doses répétées de dopamine peuvent être à l’origine d’un grand manque de motivation. Puisqu'il suffit de scroller (faire défiler l’écran) sur TikTok pour recevoir une récompense, pourquoi se fouler et faire des efforts ?

Il a été démontré que la recherche constante d’une récompense immédiate peut nuire à la productivité, perturber le sommeil, et provoquer d’importants troubles de l’attention. De quoi décourager les enfants et adolescent·es d'effectuer des tâches nécessitant une attention prolongée.

Des musiques omnubilantes

L’une des spécialités de TikTok ? Sa capacité à introduire en tête des extraits de musiques entraînantes, dont il est difficile de se défaire. Ces dernières tournent en boucle dans le cerveau, provoquant une envie insistante : retourner sur l’application pour écouter une nouvelle fois le morceau qui tourmente l'esprit.

Pourquoi ? Tout simplement car l’écoute de ces extraits de musique stimule une zone du cerveau en particulier : le noyau accumbens. Celui-ci est responsable de nos envies irrépressibles de faire ou de consommer quelque chose, malgré tous nos efforts pour nous y soustraire.

Lorsque cette zone est activée, elle sécrète cette fameuse dopamine. Une sensation de bien-être peut également être ressentie grâce à la production d’endorphine. Ce mécanisme participe au développement de comportements addictifs chez les enfants et adolescent·es.

Des contenus courts et illimités, jouant sur l'effet de surprise

Les contenus proposés sur l'application entraînent une stimulation constante du cerveau : celui-ci ne s’ennuie jamais. A chaque scroll, une nouvelle vidéo apparaît. Au départ, l’utilisateur·rice ne sait jamais de quel contenu ou sujet traite cette vidéo. Si le thème ne lui plaît pas, il·elle peut scroller une nouvelle fois pour changer de vidéo. Et potentiellement, consulter un contenu plus adapté à ses goûts (recevant au passage sa dose de dopamine).

TikTok joue sur cet effet de surprise pour rendre les utilisateurs·rices accros. A terme, cette répétition peut les amener à développer un comportement addictif, très préoccupant chez les enfants et les adolescent·es. A cet égard, on pourrait comparer le fonctionnement de l'application à un jeu de hasard. L’utilisateur·rice ne sait jamais s’il·elle va gagner (à savoir, regarder une vidéo qui lui plaît et recevoir sa dose de dopamine) ou perdre (c'est-à-dire tomber sur un contenu qui ne l'intéresse pas).

La durée extrêmement courte des vidéos (de 15 à 30 secondes pour la plupart) exacerbe l'effet de zapping. De quoi fragiliser la capacité de concentration des jeunes utilisateurs·rices, notamment face à des contenus plus longs et détaillés.

Des contenus adaptés aux préférences des utilisateurs·rices

L’algorithme de TikTok est complexe. Une équation composée du nombre de vues, de likes, de commentaires ainsi que du temps passé sur les vidéos détermine la mise en avant des contenus sur l'application.

La plateforme propose d'ailleurs à ses utilisateurs·rices des batchs : ces lots de 30 vidéos permettent de déterminer leurs préférences. Comment ? En se basant sur le temps passé sur chaque vidéo, les likes envoyés et les créateurs suivis. En quelques heures, l’application détermine le profil de l’utilisateur·rice en recueillant des informations sur sa personnalité, ses goûts, ses envies, la rapidité avec laquelle il·elle s'ennuie, etc. Le contenu illimité dans le fil « Pour toi » s’adapte alors aux préférences détectées par TikTok : y apparaissent des vidéos similaires, susceptibles de plaire à l’utilisateur·rice.

Quels sont les objectifs de l’algorithme de TikTok ? Développer une forte rétention chez les utilisateurs·rices (autrement dit, les faire revenir sur l’application), et faire en sorte qu'ils·elles y passent un maximum de temps. Ces éléments participent également au développement de comportement addictifs chez les utilisateurs·rices : les enfants et adolescent·es y sont particulièrement sensibles.

Mis bout à bout, ces différents éléments problématiques s'accumulent et agissent sur les utilisateurs·rices de TikTok. A la clé : des symptômes dépressifs, de l’anxiété, des troubles alimentaires, des problèmes de gestion des émotions, des comportements addictifs... voire suicidaires, dans certains cas extrêmes.

Autant de phénomènes qui renforcent la nécessité :

  • de comprendre comment fonctionnent ces plateformes, et notamment d'identifier ce qui entraîne les enfants et adolescent·es à y revenir - et à y passer autant de temps.
  • d'éduquer les plus jeunes au numérique, pour favoriser une prise de recul par rapport à leurs habitudes en ligne - et leur apporter des clés pour reprendre le contrôle au quotidien.

Références

[Photo de couverture : montage réalisé à partir d'une photo de Gaelle Marcel]

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