Médicaments, vaccins : un fichage massif en pharmacie... pour votre bien ?
45 millions de français possèdent un dossier pharmaceutique, et 99.9 % des pharmacies sont équipées d'un logiciel permettant de les consulter. Conçus comme des garde-fous pour prévenir les interactions médicamenteuses, ils peuvent aussi se révéler intrusifs pour les patient·es. Mais surtout, peu de français·es savent qu'ils en possèdent un. Pharmacien·nes, client·es, Ordre des Pharmaciens : voici leurs points de vue sur ces dossiers.
Possédez-vous un dossier pharmaceutique ? Si vous n'êtes pas certain·e de la réponse, rassurez-vous : vous n'êtes pas seul·e dans ce cas.
En théorie, le/la pharmacien·ne doit expliquer ce qu'est le dossier pharmaceutique avant toute création, et recueillir le consentement du/de la patient·e. Si cette personne donne son accord, alors le professionnel de santé peut procéder à la création de ce dossier et lui remettre une attestation.

Première version de la brochure sur le dossier pharmaceutique (source : TF1)
Souvent, les particuliers pensent que leurs ordonnances sont stockées par leur pharmacie. En revanche, ils ne savent pas que les médicaments qui leur sont délivrés sont consultables par toutes les officines de France.
Garde-fou médicamenteux
Un mercredi matin à Lyon, devant une pharmacie de quartier. Je m'approche d'une jeune femme qui vient de sortir pour lui demander si elle connaît le dossier pharmaceutique. Lorsqu'elle me répond par la négative, je lui présente brièvement ce dossier. Elle me confie alors :
Je trouve ça bien. Cela permet d'éviter les confusions avec les génériques. Par exemple : je me rends dans une pharmacie A qui va me délivrer un générique. Si je retourne dans une seconde pharmacie et qu'elle me délivre un autre générique, elle devrait m'indiquer que j'en ai déjà récupéré récemment mais sous un autre nom.
Du côté des pharmacien·es, ce sont plutôt les problèmes de sur- ou sous-dosage et d'automédication qui les préoccupent.
Il y a en France comme ailleurs un grand pourcentage de malades d'ordre psychiatrique, psychologique. Des personnes qui sont dans un état où il leur arrive même de nier leur traitement, ou de ne pas avoir envie de nous le dire. Le dossier pharmaceutique est important pour cela, et ce n'est pas pour les fliquer mais c'est dans leur intérêt.
m'indique un pharmacien.
Pour l'un de ses confrères, le dossier pharmaceutique peut sauver des vies et œuvre clairement dans l'intérêt des patient·es.
Le principal usage du dossier pharmaceutique est d'exploiter notre logiciel à plein régime pour identifier les contres-indications des médicaments prescrits au patient. Le dossier pharmaceutique pallie au défaut d'organisation des ordonnances de certains. Par exemple, les jeunes femmes qui oublient leur ordonnance de pilule : ça nous permet de trouver une trace de prescription et de les dépanner.
Limites du dossier pharmaceutique
Pourtant, le dossier pharmaceutique affiche uniquement la liste des médicaments et le nombre de boîtes délivrées. Le pharmacien ne connait pas la posologie. Impossible pour lui de savoir si le/la patient·e a réellement consommé les médicaments qui lui ont été remis.
Le problème se pose également avec les vaccins. Par exemple : un rappel pour le tétanos récupéré à la pharmacie, oublié dans le réfrigérateur et jamais injecté. Renseigné dans le dossier pharmaceutique, il est considéré comme pris par le/la patient·e.
Finalement, difficile de savoir ce que deviennent les boîtes de médicaments dès qu'elles sortent de la pharmacie. Or, souvent, celles-ci contiennent plus de cachets que le médecin n'en a prescrit. Puisque pour le moment, la délivrance des médicaments à l'unité n'existe pas en France.
Vie privée

Le concept de vie privée est fragile dans le cadre du dossier pharmaceutique : entre confiance envers ses praticiens, secret médical et partage d'informations entre pharmacien·nes.
Je n'ai pas de gêne vis à vis de mon pharmacien car je pars du principe que c'est une forme de médecin et qu'il doit respecter une forme de confidentialité. Mais savoir que d'autres pharmaciens puissent y accéder, par curiosité ou par conscience professionnelle, ça me met mal à l'aise.
poursuit la cliente de la pharmacie.
Le rapport de la Cour des comptes indique qu'une étude sur l'impact sur la vie privée a été réalisée par le DPO (_Data Protection Officer_) du CNOP (Conseil National de l'Ordre des Pharmaciens). Cette étude s'est achevée en 2021. Suite à notre demande, la direction de la communication de l'Ordre des pharmaciens n'a pas souhaité nous transmettre son contenu.
Dans l'ensemble, les outils utilisés et les informations collectées ne sont pas assez présentés aux patient·es. Les missions des officines ont certes évolué, leur temps est toujours plus réduit et pourtant....
Je pense qu'on n'est jamais véritablement mis au courant des outils à disposition des pharmaciens. Il y a un rapport de confiance avec les pharmaciens auxquels on est habitués. Mais dans l'idéal il faudrait avoir une demande explicite pour accéder à notre dossier pharmaceutique.
remarque une infirmière libérale.
Les pharmaciens estiment, quant à eux, que leur travail s'est complexifié. Or leur mission principale reste de délivrer des médicaments aux patient·es.
On essaye de sensibiliser la population sur le reste (dossier pharmaceutique, dossier médical partagé) mais c'est un travail que les pouvoirs publics devraient faire. Nous ne devrions pas être les seuls à plaider pour ces dossiers.
m'explique une pharmacienne.
Un manque d'informations pour les professionnels de santé
L'informatique est de plus en plus omniprésente dans le domaine de la santé. Passe sanitaire, dossier médical partagé, dossier pharmaceutique, Mon espace santé... les patient·es comme les professionnel·les de santé sont dépassé·es et pas assez formé·es sur ces outils et nouveaux usages. Un pharmacien m'indique :
Je trouve qu'on n'est pas suffisamment bien renseigné en tant que professionnels de santé sur tous les outils et les possibilités. Lorsque j'ai voulu avoir des informations sur le dossier médical partagé, j'ai dû créer un accès pour comprendre. On reçoit beaucoup de mails d'informations mais les données vraiment importantes sont noyées dans la masse.
Du côté des pharmacien·nes, il y a une méconnaissance des termes employés. Olivier Porte, directeur des technologies en santé de l'ordre national des pharmaciens, m'explique pourquoi les noms de dossier sont parfois confondus.
Le DP est opérationnel depuis plus de 10 ans dans les pharmacies, et recense l’historique des dispensations de médicaments pour un patient, ce qui permet d’éviter les interactions médicamenteuses qui peuvent avoir parfois de graves conséquences. Nous l’avons conçu pour qu'il soit intégré au logiciel de gestion d’officine. En termes d'ergonomie, chaque éditeur a fait ses choix. Certains montrent tout l'historique médicamenteux sur l'écran principal, sans distinguer ce qui provient du serveur DP ou des données de l’officine. Le ressenti est différent en fonction de cet affichage. Cela peut donc occasionner une méconnaissance de ce que recouvre le DP.
A la fois méconnu des patients et incontournable dans les officines : le dossier pharmaceutique est de plus en plus présent, et ses usages tendent à évoluer.
[Photo de couverture : Analuisa Gamboa]
