Numérique responsable au bureau : où en sommes-nous ?

Alors qu'un nombre croissant d'entreprises incluent l'intelligence artificielle dans leurs outils, que font-elles par ailleurs pour réduire leur impact numérique ? On fait le point.

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Écologie

Thématiques

Impact

Par Julie Falcoz

5 décembre 2025

7 min

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Crédit : Getty Images

« L’entreprise possède son propre data center avec beaucoup de serveurs », affirme Thomas Chevalot, ingénieur méthode architecture à la direction informatique et digitale chez Doxallia, entreprise du groupe Crédit Agricole qui propose des solutions documentaires et digitales. Pas forcément l’image que l’on se fait d’une société engagée dans le numérique responsable. Mais c’est justement pour compenser - entre autres - ces serveurs que la démarche d'obtenir un label a été initiée il y a deux ans.

L'ingénieur précise : « C’est parti d’une volonté de la direction, sachant que certaines entités du groupe avaient déjà un label dont on pouvait s’inspirer ». Par chance, de nombreuses personnes au sein du groupe Crédit Agricole sont très actives sur le numérique responsable : « Nous avons pu bénéficier de leur état d’esprit de partage d’expérience ».

Résultat : le niveau 1 du label Numérique Responsable, obtenu en mars 2025, a permis de structurer la démarche, collecter les initiatives déjà existantes des différents services et mettre en place des actions supplémentaires. « Le label rend tout cela officiel, avec un plan d’action qui doit être suivi. C’est un vrai engagement », confirme Thomas Chevalot. Pour le niveau 2, la démarche est différente et comprend un système de notation et un audit d’une semaine dans les locaux de l’entreprise auditée. « Cela dépendra de la direction », poursuit-il.

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Une démarche accompagnée

« On se rend vite compte que cela touche tous les corps de métiers, ce n’est pas une lubie de quelques personnes », reconnaît Thomas Chevalot. Tous les services sont concernés par le numérique responsable puisqu’il repose sur trois piliers, comme l'explique Mathieu Wolff, consultant numérique responsable. : « D’abord, un volet environnemental, pour moins d’impact écologique. Ensuite, un volet social pour inclure tout le monde, et un volet économique pour être viable économiquement ».

Mais il existe encore beaucoup de freins dans les entreprises françaises vis-à-vis du numérique responsable, parce qu’il faut investir du temps et de l’argent :

Pour l’instant, le retour sur investissement n’a pas forcément été identifié de façon explicite. Si le dirigeant n’a pas de vision, personne ne prendra d’initiative. D’autant que les projets de conduite du changement prennent du temps, que l’on n’a pas forcément d’un point de vue écologique.

Mathieu Wolff

Même si des postes et des services dédiés à la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises, soit la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu'elles exercent sur la société, que ce soit au niveau économique, social et environnemental) ont éclos, ils peuvent être relégués, sans support de la direction qui dépriorise le numérique responsable.

Pourtant, la France est plutôt bonne élève avec des réglementations poussées comme la loi REEN, visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique. « C’est une loi un peu unique dans le monde, qui a notamment été un vecteur de changement pour les acteurs du secteur public. Par conséquent, les fournisseurs s’y sont mis, avec un impact sur les entreprises privées » indique Mathieu Wolff.

Inégalités de taille

C’est difficile de faire un classement des bons élèves tant le sujet est vaste. En tout cas, les associations françaises pensent que les entreprises françaises pourraient aller plus loin.

Benoit Petit, cofondateur d’Hubblo

En France, les entreprises ne sont pas toute logées à la même enseigne selon leur taille. « Les grandes structures ont des moyens financiers et humains mais sans forcément en faire la priorité, donc cela n’avance pas aussi vite que l’on pourrait s’y attendre. Alors que la plupart des PME ont une méconnaissance des enjeux » analyse Mathieu Wolff.

En dehors de la taille de la structure, celles qui réussissent sont parvenues à intégrer le numérique dans tous les processus (RH, achat, gestion de projets…). Ce qui en fait un sujet systémique, comme le souligne le consultant : « La conduite de changement prend du temps, il ne faut pas vouloir être à 100% tout de suite mais plutôt déjà se concentrer sur ce qui a un impact dans l’entreprise concernée. C’est pour cela que le ROI [Return on Investment - retour sur investissement] n’est pas toujours mesurable facilement ».

Si beaucoup de choses se passent au niveau des entreprises, les salarié⸱es aussi ont la possibilité de réduire leur empreinte. Par exemple en prenant soin du matériel informatique (housse de protection, nettoyage régulier, ménager les batteries…). D’ailleurs, Alt IMPACT, un programme porté par l’ADEME, le CNRS et l’INRIA, recense les bonnes pratiques à adopter.

Greenwashing et IA

Si un certain nombre d'entreprises françaises s'efforcent de faire les choses correctement, un grand vent de liberté souffle en revanche du côté des géants américains de la tech. Alors que Microsoft se veut neutre en carbone en 2030, selon son rapport de durabilité, ses émissions ont grimpé de 29,1 % entre 2022 et 2023 - à cause des émissions indirectes du scope 3 (comprenant investissements, déchets et transport), soit plus de 96 % des émissions totales qui proviendraient de la construction et du fonctionnement des centres de données. « Sur le scope 2 (correspondant à l'électricité et au chauffage achetés et utilisés par une entreprise), ils ont compensé en rachetant des crédits carbone. Il y a donc une distorsion par rapport à ce qui est réellement calculé » détaille Mathieu Wolff.

Sans oublier l’abandon de Windows 10 qui pourrait générer jusqu’à 37 millions de tonnes d’équivalent CO2 selon l'association spécialisée dans la sobriété numérique Green IT. Et quid de l’intelligence artificielle quand on sait le gouffre écologique que représente une requête sur Chat GPT ? La dynamique du numérique responsable s'en trouve forcément ralentie.

Références :