Ask Buddha, AI Jesus, Rabbi Bot... quand le numérique se mêle à la foi
Entre débats théologiques de fond et propositions numériques rocambolesques, les religions explorent les nouvelles technologies - en se faisant parfois bousculer au passage.
Par Marie Frumholtz
18 décembre 2025

L'intérêt des religions pour le numérique ne date pas d'hier. « Par exemple, dans les années 60, un jésuite du nom de Roberto Busa a réalisé un index des écrits de Thomas d'Aquin sur des cartes perforées et en partenariat avec IBM », relate David Douyère, professeur en sciences de l'information et de la communication à l'université de Tours. Avant l'an 2000, ce sont surtout des religieux un peu en marge, plus que les religions elles-mêmes, qui s'emparent des nouvelles technologies.
Désormais, ces pratiques se sont institutionnalisées. Toutes les religions ont développé des applications pour smartphone. Les technologies sont entrées dans les pratiques ordinaires de communication religieuse.
David Douyère
Des outils de communication avant tout
Toutes les religions ont eu recours à des sculptures, peintures, bâtiments ou musiques pour rendre visibles les pratiques religieuses et relier les croyant⸱es. Aujourd'hui, elles ont compris que pour toucher le plus de monde possible, il faut se faire une place dans les smartphones.
David Douyère identifie trois types de contenus qui passent essentiellement par les réseaux sociaux ou des applications mobiles dédiées :
- Ceux destinés à évangéliser (pour toucher de nouveaux⸱elles croyant⸱es).
- Les ''contenus de rappel'', visant à revivifier les pratiques en rappelant comment les exécuter et pourquoi elles existent (comme la pratique du jeune, l'abstinence sexuelle, les attitudes morales, les prières quotidiennes...). L'application Muslim Pro, par exemple, lancée par des entrepreneurs d'Asie du Sud en 2010, permet aux pratiquant⸱es du monde entier de connaître les bons horaires de prières, où qu'ils⸱elles se trouvent dans le monde.
- Viennent enfin les contenus ''identitaires'' qui visent à transmettre aux fidèles les attitudes conformes à leur religion. Ils répondent à la question : que signifie être un⸱e bon⸱ne catholique, musulman⸱e, juif⸱ve, hindou⸱e... ?

Mais les institutions religieuses savent aussi s'emparer de technologies plus ludiques. C'est le cas, par exemple, du jeu pour smartphone Pokemon Go détourné en 2018 en Follow JC Go, à l'initiative de la fondation Ramón Pané, proche de l'église évangélique sud-américaine. Dans ce jeu, les joueurs⸱ses ''attrapent'' des personnages bibliques dans le but de former une équipe d'évangélisation.
Les robots n'échappent pas non plus à cette reconversion. « Dans certains sanctuaires shintos et temples bouddhistes au Japon et en Chine, on trouve des robots nourris à l'IA et entraînés à répondre à des questions théologiques », relève Lionel Obadia, professeur d'anthropologie à l'université Lyon 2.
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S'emparer des IA
Pour les religions, la maîtrise du numérique est un indicateur de modernité.
L'objectif est de montrer que le courant religieux vit avec son temps et qu'il n'est pas dépassé par ces technologies.
David Douyère
Il en va de même aujourd'hui avec l'IA. « Les religions sont toutes un peu obligées de s'y mettre pour conserver un tant soit peu de contrôle sur l’usage qui est fait de leurs références théologiques », affirme Lionel Obadia.
C'est tout l'enjeu qui a sous-tendu le colloque intitulé ''Quand l’IA rencontre les religions : perspectives pour l’Église catholique'', organisé par la Conférence des évêques de France le 10 février 2025, dans le cadre de l’AI Summit Paris. La question de la création d'une IA catholique y a notamment été débattue. Pour ses partisans, l'IA est un « champ missionnaire émergent », à condition de veiller à ce que le message chrétien soit transmis de manière fiable et éthique. La peur de voir d'autres IA répondre à des questions relatives à la foi chrétienne à la place de l’Église motive également cette réflexion.
Un essai en la matière a déjà fait beaucoup parler de lui mi-2024. Un hologramme nommé AI-Jésus a été installé durant quelques semaines dans une église de Lucerne, permettant à presque 1 000 fidèles et visiteurs⸱ses d'échanger avec lui sur divers sujets - plus ou moins relatifs à la spiritualité.
Les autres religions ne sont pas en reste. Du côté d'Houston au Texas, le rabbin Josh Fixler a testé début 2025 dans sa synagogue la diffusion audio d’un sermon entièrement généré par IA. Son chatbot Rabbi Bot a été alimenté par tous les textes de commentaires spirituels qu'il a écrits pour en faire une base de données complète et générer des sermons automatiquement.

Quant au bouddhisme, plusieurs robots conversationnels sont déjà opérationnels comme Ask Buddha ou BuddhAI. « Il s'agit toutefois d'initiatives isolées qui ne font pas référence dans les communautés religieuses », relève David Douyère.
Méfiance, radicalisme et résistance
Malgré tout, une certaine méfiance à l'égard des nouvelles technologies persiste dans les milieux religieux, d'abord parce que :
Les pratiques numériques ne peuvent remplacer les rituels. Elles sont un accompagnement et pas un substitut.
David Douyère

Ensuite, ce sont surtout les expériences menées par les plus radicaux⸱ales qui sont les plus visibles. « Par exemple, derrière AI Bible, qui abreuve les réseaux sociaux de scènes bibliques reprenant les codes des blockbusters hollywoodiens, se trouvent des évangélistes américains littéralistes et fondamentalistes. Pour eux, tout ce que dit la Bible est vrai. Ils pensent démontrer scientifiquement que les représentations artistiques occidentales de la Bible sont fausses grâce à l'IA. En réalité, ils tuent l'imagination des croyants en leur imposant leur propre vision », soutient David Douyère.
Selon Lionel Obadia, à travers de telles opérations, les minorités religieuses cherchent surtout « à gagner en visibilité et à affirmer leur singularité dans l’écosystème digital, comme dans le paysage spirituel. »
Restent enfin les pseudo-religions inventées de toutes pièces (digitally native), qui n'auraient pas pu voir le jour sans le numérique. « Ce sont les plus créatives, il en existe de toutes les formes. Elles sont, dans leur grande majorité, la manifestation d'une forme d'esprit critique, de prise de distance, voire d'ironie et de sarcasme vis-à-vis des grandes institutions religieuses. Les personnes concernées s’en revendiquent sans pourtant nourrir une véritable foi », relate Lionel Obadia.
On trouve ainsi parmi ces religions le Kopimisme, qui prône le piratage sur Internet et considère le "Ctrl+C" et le "Ctrl+V" comme des symboles sacrés. The Church of the Flying Spaghetti Monster (en français le ''Pastafarisme'') en fait également partie. Fondée par des scientifiques américains, elle dénonce l'anti-darwinisme rampant outre-Atlantique. Certaines revendiquent plusieurs milliers de fidèles, comme « la religion Jedi qui dénombrait il y a peu près de 16 000 membres en Grande-Bretagne », rapporte encore le chercheur.
Malgré cela, il convient de noter que toutes les religions ne sont pas impactées de la même manière par toutes les technologies. « Certaines sont dans l'appropriation active, quand d'autres restent méfiantes. Chaque type de phénomène est complexe et mérite une étude spécifique », estime Lionel Obadia.
Références :
Conférence des évêques de France
Quand l’IA rencontre les religions, perspectives pour l’Église catholiqueCourrier International Suisse
À Lucerne, Jésus revient sous forme d’IALe Figaro
Ces sermons générés par IA qui inquiètent les autorités religieuses